Photo Saverio Perissinotto CEO d’Eurizon © Eurizon
Covid, reprise, inflation, hausse des taux : les quatre premières années du cycle post-Covid ont été très mouvementées.
2024 est la cinquième année de ce cycle. Pourrait-elle être la première non mouvementée? La première normale ? Par superstition certaines questions ne devront pas être posées. Mais nous sommes des scientifiques, pas des superstitieux. Nous pouvons donc affirmer que 2024, ne serait-ce que sur les premiers mois, se présente comme une année de poursuite du cycle mondial, avec un couple croissance- inflation enfin stabilisé. L’inflation, qui fin 2023 a diminué de manière plus rapide, devrait continuer de se rapprocher des 2 % (objectif des Banques Centrales).Les prix des matières premières se sont stabilisés depuis plusieurs mois et n’ont pas subi les conséquences des tensions géopolitiques au Moyen-Orient.
L’attention se portera sur la rapidité de la diminution de l’inflation de base, qui oscille actuellement entre 3,5 % et 4 % aux États-Unis et dans la zone euro, mais qui devrait, selon le consensus, se situer autour de 2,5 % à la mi-2024. Cette hypothèse semble pouvoir être confirmée, tandis que le risque d’une inflation plus élevée que prévue semble faible, compte tenu de l’absence de pressions sur les prix à l’origine et d’une tendance toujours positive dans l’activité économique, mais à un rythme très modéré par rapport aux excès de 2021 et 2022.
La croissance économique devrait, en chiffres du consensus, ralentir aux États-Unis de 2,4 % à 1,3 % et confirmer sa faible croissance de 2023 de 0,5 % dans la zone euro. Le profil temporel qui compose les estimations annuelles est toutefois intéressant. En effet, il est prévu que l’activité économique soit faible en début d’année, l’impact de la politique monétaire restrictive et une inflation encore élevée ralentissant l’activité économique.
Pour le second semestre en revanche, on devrait assister à une réaccélération progressive vers des niveaux de croissance potentielle, autour de 2 % pour les États-Unis et de 1,5 % pour la zone euro. La réaccélération serait soutenue par la baisse de l’inflation, qui redonnerait du pouvoir d’achat aux consommateurs, et par la tendance à l’assouplissement des conditions financières, du fait de la fin de la restriction monétaire. Le scénario décrit par les chiffres du consensus semble pouvoir être confirmé et laisserait présager la normalisation du cycle économique, après les fortes turbulences macroéconomiques causées par le Covid et la sortie post-Covid.
En ce qui concerne le scénario de risque, il conviendra toutefois de prêter attention à la possibilité d’un ralentissement plus marqué que prévu de l’économie mondiale, en raison de l’effet différé de la politique monétaire restrictive de ces deux dernières années. De ce point de vue, il sera utile de surveiller les agrégats de crédit et les indices de default, tandis que la variable de signalisation macroéconomique la plus importante sera le marché du travail américain, dont la vigueur a jusqu’à présent démenti les prédictions d’un atterrissage brutal.
Dans ce contexte, les Banques Centrales auront une marge de manœuvre pour assouplir les conditions de politique monétaire en 2024. Ce cycle de baisse des taux serait différent des précédents dans lesquels la baisse des taux d’intérêt était rapide afin de faire face à l’entrée en récession de l’économie mondiale. Cette éventualité pourrait se réaliser dans le scénario de risque (ralentissement marqué de l’économie), mais semble pour le moment peu probable. En revanche, dans l’hypothèse centrale les Banques Centrales maintiendront les taux aux niveaux actuels au premier trimestre 2024, consolidant ainsi la stabilisation de l’inflation. Cependant, la Fed comme la BCE pourraient, vers le milieu de l’année, baisser leurs taux de politique monétaire, actuellement de 5,5 % aux États-Unis et de 4,5 % dans la zone euro, l’inflation se situant désormais autour de 2,5 %. Dans ce cas les taux pourraient diminuer de l’ordre de 100 points de base au second semestre 2024 et le parcours de normalisation se poursuivrait au premier semestre 2025 avec un objectif de 3 % – 3,5 % pour la Fed et de 2 % – 2,5 % pour la BCE.
Parmi les autres questions au centre de l’attention, citons la Chine, qui a déçu les attentes d’une forte reprise post-Covid en 2023, mais qui a tout de même atteint l’objectif de croissance de 5 % fixé par le gouvernement. Pour le consensus, la croissance pour la Chine devrait rester stable en 2024, mais modérée par rapport aux rythmes du cycle pré-Covid. L’estimation ponctuelle de croissance moyenne annuelle est de 4,5 %. Si cela se confirme, il s’agirait là aussi d’un ingrédient stabilisateur non inflationniste pour le cycle économique mondial.
Le calendrier politique 2024 est assez chargé. En Europe le vote pour renouveler le Parlement européen aura lieu début juin. Mais le rendez-vous qui attirera la plus grande attention sera les élections présidentielles américaines de novembre.
Biden se présente avec une cote de popularité assez basse, qui par le passé n’a pas été suffisante pour une réélection. Si son opposant est Trump, ce sera la première fois qu’un ancien président se représente. Une combinaison qui pourrait rendre peu utiles les prévisions basées sur les expériences historiques. Cette question sera au centre de l’attention au cours du second semestre. Ces événements s’ajoutent à la guerre en Ukraine, toujours en cours, et aux tensions au Moyen-Orient, toujours non résolues. Dans une année au cours de laquelle les variables macroéconomiques pourraient se normaliser, les événements géopolitiques pourraient au contraire s’avérer être une source de volatilité.
En ce qui concerne les marchés financiers, le scénario central, qui associe stabilisation du couple croissance-inflation et assouplissement des taux d’intérêt, laisse présager un contexte favorable. Pour ce qui est des marchés obligataires de base, il convient de noter qu’ils ont déjà enregistré un rendement absolu positif en 2023, mais que la volatilité a été, pour la deuxième année consécutive, bien supérieure aux caractéristiques typiques de ces actifs. Il est souhaitable, voire probable, que l’ajustement prévu de l’inflation et de la croissance économique en 2024 ramène la volatilité des marchés obligataires à des niveaux normaux.
Nous surpondérons la duration des emprunts d’État américains et européens. Selon nous les stratégies de pentification des courbes, qui sont encore inversées, et qui à la fin de la normalisation des taux de politique monétaire devraient retrouver une pente positive sont intéressantes. Ce sont les indications que l’on trouve dans les courbes à terme, avec des taux courts qui devraient diminuer d’ici un an, grâce aux baisses des Banques Centrales, et des taux longs qui ont peu bougé, reflétant les attentes d’un cycle économique continu, évitant la récession même en 2024. Ces attentes permettraient aux investisseurs de profiter du flux de coupons offert par les marchés obligataires, de réaliser des plus-values grâce à la baisse des taux sur les échéances à court/moyen terme, et d’être protégés en cas de ralentissement brutal de l’économie sur les échéances à long terme.
En ce qui concerne les marchés obligataires à spread, les rendements absolus de 2023 ont été très positifs, malgré un contexte de forte volatilité causée par les taux souverains sous-jacents, mais protégés en revanche par des spreads qui en 2022 avaient fortement augmenté. Les taux de rendement des segments plus risqués, High Yield et marchés émergents, n’ont pas atteint de nouveaux sommets par rapport à 2022, la hausse des taux souverains sous-jacents étant plus que compensée par le resserrement des spreads, conséquence de la résilience plus forte que prévu de l’activité économique.
Bien qu’ils aient reculé en 2023, les spreads des obligations Investment Grade, High Yield et des marchés émergents restent supérieurs à leurs niveaux habituels en fin de cycle, ce qui les rend attrayants dans la perspective de 2024.
À 170 points de base, le spread se situe au milieu du corridor 100-250, dans lequel il évolue dans le cycle post- Covid et qui marque les extrêmes de l’optimisme et du pessimisme des investisseurs à l’égard de l’Italie et de la périphérie de la zone euro en général. Le fait d’avoir reçu la confirmation de la notation fin 2023 et d’avoir déjà conclu les accords sur le nouveau pacte de stabilité rend, dans le scénario central, les spreads de l’Italie et de la périphérie attrayants, bien que non extrêmes.
Les indices agrégés des États-Unis et de la zone euro ont effacé la quasi-totalité des pertes subies en 2022. Bilan plus modeste pour les marchés émergents, notamment du fait de la faiblesse du marché boursier chinois. Aux États-Unis et dans la zone euro, la reprise s’est principalement concentrée sur le secteur technologique, mais la consommation discrétionnaire et l’industrie ont également fait bonne figure, témoignant de l’optimisme quant au prolongement du cycle économique mondial. Dans la zone euro, le secteur financier a également enregistré de bons résultats, grâce au retour des taux d’intérêt en territoire largement positif.
Les cours des actions ont progressé dans un contexte de stabilité des bénéfices aux États-Unis et de légère croissance en Europe. Les valorisations sont donc moins attrayantes que l’année dernière, surtout pour les États-Unis qui restent le marché porteur. Mais dans un contexte de poursuite du cycle économique, avec assouplissement des conditions monétaires, les bénéfices des entreprises peuvent continuer à augmenter au même rythme que la croissance moyenne à long terme (8 %-10 % sur une base annuelle) et cela reste un soutien solide pour les cours des actions.
Dollar volatil, sans direction claire en 2023 ; par rapport à l’euro la fluctuation était comprise entre 1,05 et 1,13.
2024 pourrait également s’avérer peu directionnelle pour les devises, le dollar étant soumis à deux tendances qui s’équilibrent. L’économie américaine devrait croître plus fortement que les autres économies développées, ce qui constitue un facteur de soutien pour le dollar. À l’inverse, la poursuite du cycle économique mondial dans un contexte de réduction des facteurs d’incertitude joue généralement en faveur de devises autres que le dollar.
Notre opinion est neutre pour le dollar, tout en maintenant une surpondération du yen, qui est sous-évalué et permettrait de protéger les portefeuilles en cas de surprises négatives du scénario mondial. En outre, dans une année au cours de laquelle la Fed et la BCE devraient baisser leurs taux, la BoJ pourrait décider de réduire progressivement sa politique monétaire accommodante étant donné que le cycle de l’inflation est plus lent que dans d’autres régions.
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