30E ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE Cheikh Anta Diop : un savant multidimensionnel

12 février 2016

30E ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE Cheikh Anta Diop : un savant multidimensionnel

Il y a 30 ans s’éteignait Cheikh Anta Diop, égyptologue, figure majeure de l’histoire intellectuelle africaine du XXe siècle. En étudiant les racines africaines de l’Égypte ancienne, il a défendu et prouvé la place de l’Afrique dans l’histoire de l’humanité dès ses origines, et sa contribution aux grandes civilisations. Il a notamment travaillé à la rédaction de l’ « Histoire générale de l’Afrique ». Homme politique, il fut aussi un fervent avocat du panafricanisme.

Le 7 février 1986, disparaissait le Sénégalais Cheikh Anta Diop, auteur du célèbre Nations nègres et cultures. Les Africains et la communauté scientifique internationale ont toujours considéré Cheikh Anta Diop comme le plus grand savant africain de tous les temps. Au moment où l’on commémore le 30e anniversaire de sa disparition, il nous a paru nécessaire de rendre un vibrant hommage à ce savant multidimensionnel qui aura eu le mérite de restituer la vérité historique sur les origines noires et d’ailleurs de la civilisation égyptienne antique et de démontrer que le continent noir possédait une l’histoire.

Pour comprendre les travaux de Cheikh Anta Diop qui ont suscité la controverse dans le monde scientifique durant les années 50, il faut remonter aux expéditions de Napoléon Monaparte de 1822 et aux travaux de Champollion. En fait, les égyptologues européens avaient dans leurs recherches conclu de l’origine blanche de l’Égypte antique. A cela s’ajoutait la littérature philosophique de l’époque menée par l’Allemand Hegel qui faisait du continent noir un peuple sans histoire et qui n’avait rien apporté au concert des nations. Depuis le XVIIIe siècle, les idées qui avaient été développées faisaient de l’Africain quelqu’un qui n’était pas censé avoir apporté une contribution quelconque au patrimoine universel. On le mettait au bas de l’échelle et même dans la hiérarchisation des intelligences. On disait que c’étaient des peuples inférieurs. C’est pour vérifier ces affirmations que le savant sénégalais va entreprendre des études et des recherches qui vont battre en brèche scientifiquement les thèses europeocentristes. Pour Cheikh Anta, au lieu d’affirmer sans preuve que l’Égypte ancienne était blanche et asiatique, il fallait partir sur le terrain pour la démonstration. Sur le terrain, ses travaux faits à partir du carbone 14, du potassium argon vont révéler un fait scientifique irréfutable: la mélanine (substance de la peau noire) qui se retrouvait dans la plupart des momies égyptiennes des époques pharaoniques et même au-delà. Suite à d’autres recherches, le savant sénégalais va déboucher à trois thèses iconoclastes: l’Égypte ancienne appartenait au continent africain et non au continent asiatique, que les anciens égyptiens étaient des autochtones et non des personnes venues de l’extérieur et la preuve de la parenté qui existe entre l’égyptien ancien et les langues africaines. Concernant le miracle grec par lequel certains Occidentaux disaient que tout a commencé par la Grèce sans lien avec le monde antique environnant, Diop a montré, avec des preuves à l’appui, puisées autant dans l’archéologie, l’histoire que dans la linguistique, que les échanges avaient bien eu lieu entre le monde grec et le monde égyptien. Platon lui-même a reconnu dans ses dialogues la dette de la Grèce à l’égard de l’Égypte. C’est à partir de Hegel que la démarche philosophique est conçue comme étant propre à l’Europe, alors qu’avant Hegel les philosophes européens étaient tout à fait conscients que la philosophie était le produit d’une conversation entre des cultures, entre des penseurs venant des aires culturelles différentes. Avant d’être « afro centriste », Cheikh Anta Diop interpelle l’européocentrisme de la pensée occidentale.

L’une des leçons importantes des travaux de Diop est la découverte que l’Afrique ne se réduisait pas à sa tradition orale et que l’érudition écrite avait une longue histoire sur le continent africain. Comme l’a écrit Diop, on ne peut pas parler de philosophie africaine en ignorant que cette discipline était enseignée dans les grandes villes comme Tombouctou ou Djenné (patrimoines de l’Unesco) qui étaient des grands centres culturels depuis les époques médiévales dans une tradition écrite. L’autre grande idée que Diop développe dans son œuvre est celle de l’unité culturelle et politique africaine. Son volontarisme pan-africaniste n’est pas sans rappeler l’appel à l’unité africaine d’un Nkrumah. Il faut préciser que dans les années 1950 Diop avait été empêché de présenter sa thèse sur l’africanité de l’Égypte à la Sorbonne. L’université occidentale vivait encore sur l’héritage de la domination de la pensée occidentale qui supportait mal les mises en cause de sa supériorité. L’Afrique était trop arriérée pour avoir abrité une civilisation aussi brillante que la civilisation égyptienne. Puis, les idées défendues par l’historien ont fait leur chemin et ont fini par s’imposer, notamment à la suite du colloque international du Caire de 1974, sous l’égide de l’Unesco. Ce colloque était venu conforter les thèses de Diop sur l’Egypte africaine. En plus de son œuvre qui reste immortelle, une université à Dakar porte son nom où sont formés de jeunes et brillants égyptologues.

 

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