Monde Economique Aujourd’hui être un bon coiffeur ça ne suffit plus pour réussir dans le secteur de la coiffure. Pour séduire le client il est important de savoir créer une ambiance qui lui communique en permanence une sensation de bien-être. Cela serait-il selon vous, la conséquence logique de l’omniprésence du stress dans notre société ?
Joël Remy Collioud Pour nous professionnels, un salon de coiffure est une scène de théâtre où tous les jours nous mettons en scène notre professionnalisme ainsi que notre talent. Mais pour le client les choses sont différentes, un salon de coiffure est un espace de bien-être où il vient vivre des émotions positives à travers une stimulation subtile de ses cinq sens. Le client, comme l’a montré une récente étude du groupe L’Oréal, est de plus en plus sensible à l’attractivité des espaces de bien-être. N’oublions pas que c’est à cause d’un manque d’attractivité que la fréquentation des 400 000 salons de coiffure existant en Europe est passée de 8,6 à 6 visites annuelles par client entre 2001 et 2012. C’est pour cela que, par la force des choses, les coiffeurs, outre les techniques de gestion, sont de plus en plus amenés à s’intéresser à des disciplines comme l’architecture d’intérieur, les techniques de vente et la psychologie.
En matière de séduction et de fidélisation commerciale rien ne s’improvise. Quand vous observez l’aménagement de notre salon, vous constatez immédiatement que nous sommes en phase avec les tendances du moment. En effet notre boutique se compose d’un espace public épuré, propre, et bien rangé, rassemblant en son sein plusieurs îlots d’intimité propices à la confidence entre le coiffeur et son client. A cela, il faut ajouter une couleur des murs et un éclairage qui ont été étudiés pour que nos clientes puissent avoir de leur nouveau look une image qui corresponde parfaitement à la réalité. Rien ne doit les amener à douter de leur choix.
Monde Economique Quand on observe vos collaboratrices à l’œuvre on voit qu’elles ont une connaissance très précise des désirs de leurs clients. Comment vous est venue l’idée d’adopter une approche commerciale fortement inspirée du secteur de l’hôtellerie de luxe ?
Joël Remy Collioud Quel que soit le type de commerce le secret de la réussite réside dans l’écoute active du client et la détection de ses besoins latents. L’écoute du client est une condition sinequanone pour que la cliente se présentant dans nos locaux passe un moment exceptionnel. Dans la mesure où nous travaillons avec des partenaires qui officient dans le haut de gamme, il est d’idéologie rigoureuse que nos techniques de vente s’inspirent de celle de l’hôtellerie de luxe. Etant donné que nous comptons, parmi notre clientèle, une bonne part de VIP, il tout à fait normal que nous offrions des services qui nous distinguent de la plupart de nos collègues ; à savoir la mise à disposition d’un espace privé ou des prestations à domicile. Cette clientèle étant fréquemment très discrète, nous devons avoir tous les jours le réflexe de les sonder avec la plus grande délicatesse afin d’évaluer leur niveau de satisfaction. Je dis la plus grande délicatesse car nous devons bien faire attention à respecter leur sphère privée.
Monde Economique Certains fournisseurs de produits capillaires encouragent les salons dont le chiffre d’affaire est en baisse à développer une activité de conseil. Comment cela peut-il être possible à une époque où le client est de mieux en mieux informé grâce à internet ?
Joël Remy Collioud Au contraire avec la démocratisation d’internet nous sommes amenés à faire plus de conseils voire même plus de pédagogie. Ceci tout simplement parce qu’internet est un vaste réseau d’information et de communication. Et nous savons très bien que tout ce qui relève de la communication, n’est pas forcément objectif. Tous les jours certaines de nos clientes vont récupérer sur le net des photos de coiffure ou de traitements capillaires et nous demandent de les reproduire sur elle. Des fois c’est possible, et des fois cela ne l’est pas, et pour deux raisons : la première étant qu’une bonne partie des photos circulant sur le net ne sont pas le reflet de la réalité car elles ont été passablement retouchées. La deuxième étant qu’on ne choisit pas une coiffure en fonction des tendances du moment mais en fonction de sa morphologie, de son état d’esprit et surtout de l’image que l’on veut donner de soi.
Pour moi c’est une bonne chose que certains fournisseurs de produits capillaires puissent proposer des cursus de formation dans divers domaines comme la connaissance des produits, les tendances en matière de coiffure, la gestion d’entreprise et les techniques de vente. Cela ne peut que nous rendre service car, un coiffeur est avant tout un artiste passionné, qui n’a pas toujours le temps d’aller faire de la veille sectorielle.
Cependant il est très important de rester vigilant sur le contenu des éventuelles contreparties qui pourraient être demandées. Certains de nos collègues franchisés victime de franchiseurs gourmands en savent quelques choses. Nombreux sont ceux qui ont dû mettre la clef sous la porte, à cause de frais de redevance et de conseils donnés à prix exorbitants pas toujours justifiés. Ceci étant dit il est une autre catégorie de prestataires de service dont on devrait un plus se méfier. Il s’agit des spécialistes de la vente groupée, ces sociétés ces officines qui vous proposent d’augmenter la fréquentation de votre salon en proposant des rabais importants sur le prix de vos services. Même si la finalité de ce type de service peut être très louable, ils sont trop souvent proposés par des commerciaux qui n’ont aucune notion de comptabilité et de ce qu’est une entreprise. Une entreprise est une entité à but lucratif qui se doit de proposer des prix qui lui permettent de couvrir ses charges. Les seules entreprises qui pourraient entretenir des partenariats durables avec ce type d’organismes sont celles qui disposent de processus de production entièrement automatisés.
Le Monde Economique Les produits capillaires aux yeux de la législation ne sont pas des médicaments. On peut se les procurer dans les grandes surfaces. Pensez-vous que le contrôle des substances contenues dans ces produits est suffisamment rigoureux pour éviter un risque sanitaire ?
Joël Remy Collioud A ma connaissance, les produits capillaires vendus en Suisse et en Europe font l’objet de contrôles très stricts. Cependant, il faut être réaliste en matière de santé publique ; le risque zéro n’existe pas. On n’est jamais à l’abri de pratiques frauduleuses ou d’actes de malveillance. Si ma mémoire est bonne, le dernier fabricant de prothèses mammaires qui a défrayé la chronique en Europe et dans le monde pour cause d’usage de substances illicites était parfaitement en règle vis-à-vis des autorités sanitaires de son pays. Selon moi, la prévention des risques sanitaires relève d’une discipline personnelle. Un responsable de salon de coiffure ne doit jamais travailler avec des produits dont il ignore la provenance ou les effets secondaires qu’ils peuvent générer.
En ce qui me concerne, par prudence, je travaille depuis 20 ans avec les mêmes fabricants de produits capillaires. Cette longue collaboration m’a permis d’acquérir une très bonne connaissance de leurs produits et de pouvoir ainsi les conseiller en toute confiance à ma clientèle. A cela s’ajoute une
gestion méticuleuse de toutes nos données clients. En effet, grâce à notre outil CRM nous gardons une trace de tous les produits et services que nous utilisons et vendons. En l’occurrence, cette collecte permanente d’informations nous permet à notre échelle de prévenir en grande partie, je pense, les risques. C’est en analysant régulièrement ces données que nous pouvons détecter les éventuels effets collatéraux. Pour finir, en tant que maîtres d’apprentissage au sein de BHI, nous imposons à nos jeunes en formation la lecture approfondie de tous les modes d’emploi des produits qu’ils utilisent.
Monde Economique Selon certains experts en matière de marketing, pour survivre certains salons seront obligés de développer d’autres services pas forcément en rapport avec le monde de la coiffure. Avez-vous une idée de ces futurs services qui seront bientôt disponibles dans les salons de coiffure ?
Joël Remy Collioud Pour moi, un salon de coiffure doit rester un salon de coiffure. Ceci, même si pour gagner des parts de marché supplémentaires, nous devons sans cesse élargir notre offre de service. En l’occurrence, pour mener à bien un projet de diversification, il est important pour nous de nous associer à des corps de métier complémentaires au nôtre. Parmi les activités répondant à ces critères, il y a le maquillage, la manucure et tout ce qui tourne autour du relooking. C’est une tendance qui va aller en s’amplifiant avec le vieillissement de la population. En ce qui nous concerne, à BHI nous avons décidé, sur la base d’une étude que nous avons réalisée, de travailler sur la recherche de solutions visant à enrayer les pertes de cheveux momentanées ou permanentes avec la Clinic Lémanic, partenaire du secteur médical.
A côté de cela, il ne faut pas oublier qu’un coiffeur est un artiste qui réalise des œuvres de nature temporaire. Si nous voulons immortaliser le fruit de notre travail ou communiquer sur la qualité de nos prestations, il nous faudra de plus en plus avoir recours à des supports comme la photo, le dessin et la vidéo. Il est tout à fait logique dans le futur que nos clientes se voient proposer un shooting en sus d’une prestation capillaire. Sinon, parmi les nouveaux services déjà disponibles au sein de notre salon, il y a la mise à disposition de tablettes numériques. Pendant leur temps de présence au sein de notre salon, nos clients peuvent donc consulter la presse en ligne, communiquer avec leurs proches via leur réseau social d’appartenance, consulter leur messagerie et même réaliser des démarches administratives.
Interview réalisée par Patrice Bievre