Accueillant sur son sol la vague de migrants du Moyen Orient, la chancelière Angela Merkel a incité ses concitoyens à intégrer les nouveaux arrivants dans la société allemande en s’inspirant de l’exemple historique de la Réunification qui, 25 ans en arrière, avait ressoudé l’Allemagne et organiquement rassemblé deux populations séparées depuis des décennies. A la veille de la célébration du jubilé de la Réunification, la chancelière a donc invité ses compatriotes à retrouver « l’élan » qui avait porté, en 1990, une grande partie d’eux. Mais voilà qu’à peine ré-ébauché, quelque chose de cet élan se brisait déjà, quelque chose s’immobilisait. C’est comme si le cœur de l’Allemagne s’arrêtait un moment de battre – enfin, pas le cœur, mais ce moteur invisible qui fait du pays rhénan le premier producteur automobile au monde et la locomotive même de l’économie européenne : toujours en cette fin septembre, aux Etats-Unis, on constatait une fraude dans le logiciel anti- polluant des voitures Volkswagen et c’était parti pour le scandale planétaire qui allait éclabousser impitoyablement le plus beau fleuron de l’industrie allemande. Elan brisé, certes, mais aussi – image ternie d’une Allemagne qui sortait victorieuse de la crise économique et qui, à la faveur des flux migratoires se dirigeant massivement vers elle, s’affirmait, justement, comme le pays où il fait le mieux vivre – destination rêvée de centaines de milliers de personnes fuyant la guerre et la misère et aspirant à la prospérité et à la croissance matérielle.
De la fabuleuse croissance allemande, Volkswagen était le symbole même – et quel symbole ! Rien ne pouvait témoigner mieux des triomphes de ce géant automobile, pilier de l’économie allemande, que les chiffres, d’ailleurs très volubiles à son sujet : chiffre d’affaires de 200 milliards d’euros, exportation de 10 millions de voitures en 2014 (dont 600 000 vendues rien qu’aux Etats-Unis) équivalente à l’excédent commercial qui, l’an dernier, atteignait les 217 milliards. Comme employeur, VW, c’était 600 000 salariés et 2% des emplois en Allemagne.
Hélas, la crise actuelle de Volkswagen liée à la découverte du trucage du logiciel anti-polluant a, elle aussi, tendance à s’exprimer en chiffres, ce qui donne, en bref, 8 millions de voitures dans l’Union Européenne concernées par la fraude des moteurs truqués, une chute de près de 40% des actions boursières du VW et 6,5 milliards nécessaires au groupe automobile à débourser afin de couvrir le coût du scandale.
Mais ce revirement est seulement l’une (la dernière en date et certes, la plus dramatique à ce jour) des nombreuses situations inattendues que Volkswagen a connues tout au long de son existence. Offert, dès sa création en 1938 en cadeau d’anniversaire à Hitler, alors chancelier- dictateur de l’Allemagne, le « cadeau » triomphe là où son destinataire échoue, là où s’écrase la machine de guerre des nazis. Autant la mégalomanie hitlérienne était monstrueuse donc périlleuse, autant l’humilité de Volkswagen s’est avérée gratifiante pour cette « voiture du peuple » qui allait devenir la championne de la démocratisation de l’automobile et finir par s’imposer comme le géant que l’on ne cesse d’admirer depuis les années 80.
Mais si jusqu’alors la dynamique de l’inattendu et de l’inopiné avait bien servi la marque allemande, voilà que maintenant elle tourne clairement en sa défaveur. Comme on l’avait noté, c’est au moment même où Volkswagen était au sommet de sa gloire, devenu l’emblème d’une Allemagne à son tour plus prospère que jamais et vers qui, en ce début d’automne 2015 – en liaison des flux migratoires l’ayant choisie comme leur destination ultime – se tournaient les regards émerveillés du monde entier – c’est à ce moment même que le géant automobile fut terrassé par la crise. Mais le scandale des anti-polluants truqués qui a fini par polluer le fleuron de l’Allemagne n’était pas sans être précédée d’une dernière, d’une ultime ironie de l’histoire : présentant les nouveaux modèles électriques de Porsche au Salon de Francfort, les concepteurs de Volkswagen avaient insisté… sur l’importance de l’équipement écologique des voitures produites par leur groupe automobile.
Les tournures surprenantes et l’ironie font décidément partie de l’histoire de la célèbre marque allemande. Mais entre les surprises taquines que réservait le « jeune » Volkswagen- Coccinelle au monde automobile en narguant les longues limousines « américaines » de l’aube des Trente glorieuses, et la ruse flagrante des moteurs truqués de l’automne 2015, il y a quand même une certaine différence. Une différence où s’épuise cette dynamique de l’imprévu qui a si longtemps fait la force et l’originalité de la marque allemande.
Voiture- symbole, hautement emblématique de l’Allemagne, des Trente glorieuses et du post- Trente, de l’Europe ainsi que de la notion même de voiture (la publicité de Volkswagen ne le présente-t-elle tout simplement comme « Das Auto »?), l’« auto du peuple », cette souveraine démocratique de la route, est emblématique jusque dans sa déroute. Emblématique ou, plutôt – symptomatique puisque il peut bien s’agir là d’un malaise économique allemand. Et, plus généralement – d’un malaise européen.