Par Laure Marietti
Le 9 novembre prochain, la fondation Takreem fêtera le dixième anniversaire des Takreem Awards. Ces prix internationaux valorisent chaque année des réussites arabes sur le modèle des prix Nobel. Dans une région souvent associée à des images de violence et de conflits, Takreem illustre un état d’esprit résolument positif et laïque.
Takreem, c’est d’abord l’histoire d’une conviction : celle que la réalité du monde arabe ne se limite pas à l’image qu’il renvoie trop souvent en occident : une image d’intégrisme, de terrorisme, sur fond de guerres, de violences et de misère. A ce cliché désespérant et réducteur, Takreem, qui signifie en arabe « rendre hommage », entend opposer une autre vision : celle de parcours individuels de femmes et d’hommes remarquables. Elle offre aux jeunes générations la possibilité de s’identifier à des modèles inspirants, des personnalités que l’initiateur du projet qualifie joliment de « gens magnifiques ».
Cette conviction est en effet portée par un homme, Ricardo Karam. Il a décidé de mettre sa notoriété de journaliste au service de la valorisation de l’excellence arabe. Son idée est née au fil de ses rencontres. Il a interviewé – permettant ainsi au public dans le monde arabe de les découvrir – des personnalités de référence dans leurs domaines respectifs : Zaha Hadid, l’architecte urbaniste figure du mouvement déconstructiviste, le musicien Gabriel Yared, Carlos Ghosn, ou Nicolas Hayek, le fondateur de Swatch Group par exemple ; l’audience de ses entretiens télévisés lui a donné la certitude que les peuples arabes éprouvaient cette envie de se projeter et de se reconnaitre dans des personnes et des actions positives.
Six années ont été nécessaires pour mener à bien son projet. Ricardo Karam s’y est attelé avec méthode. Avant de devenir producteur audiovisuel, le journaliste a suivi un cursus d’ingénieur chimiste à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) avant de décrocher son MBA. Il se dit marqué par cette école de rigueur qui « l’aide à réfléchir ». Au-delà de sa formation universitaire scientifique, son histoire personnelle lui a permis de se forger un corpus de valeurs fortes, qui se traduit par « une volonté d’encourager la pensée libérale sans restriction ». Libanais né au Venezuela, et élevé à Beyrouth, ce presque quinquagénaire a été, comme tous ceux de sa génération, profondément marqué par la guerre civile. Cette dernière, dit-il, lui a enseigné « beaucoup de compassion et de tolérance ». De ces années reste la foi en des valeurs universelles qui transcendent nos origines : « la guerre, dit-il, est venue créer des ghettos ; on a voulu confiner l’autre dans les frontières de ses origines, pour embraser les gens, pour les exciter. L’éducation est un contrefeu très important. Je crois en l’allégeance à un pays, pas à une communauté ». Résolument optimiste, il veut apporter sa pierre à la construction d’une image différente du monde arabe, plus accueillante, plus joyeuse, et qui est à ses yeux, « plus véridique ».
Des convictions aux actes, sur le modèle des prix internationaux, Ricardo Karam imagine alors de mettre sur pied un panel de récompenses pour les ressortissants du monde arabe qui se distinguent dans des domaines aussi divers que la philanthropie, la science, le business ou la paix. « Les initiatives personnelles sont souvent les parcours les plus réussis dans le monde arabe », note-t-il. Le processus de sélection dure une année. Des centaines de candidats postulent en ligne selon une liste de critères : pour la majorité des prix, il faut être d’origine arabe et à la tête de son activité, qui doit correspondre à un des domaines récompensés. Les candidats sont d’abord présélectionnés par des experts, universités, fédérations d’entrepreneurs, ou encore ONG affiliées au projet. Puis le jury sélectionne trois finalistes dans chacune des catégories, avant l’annonce des lauréats. Huit d’entre eux sont Arabes. Le neuvième ne l’est pas forcément mais a, par son action internationale, apporté une contribution exceptionnelle à la société arabe. L’ancien président Jimmy Carter et le fondateur de Microsoft, Bill Gates, ont été honorés à ce titre.
Les lauréats ne touchent pas d’argent mais leurs actions bénéficient d’une promotion et d’une médiatisation. Ils sont issus de parcours très diversifiés. Parmi les lauréats récents, Sarah Toumi lutte contre la désertification en Tunisie ; le professeur Nagy Habib est une référence dans la lutte contre le cancer du foie ; au sein des éditions Actes Sud, Marie Desmeures promeut les grands textes et les nouveaux auteurs de la littérature arabe…
Une crédibilité renforcée par le choix des membres du jury, figures reconnues sur la scène internationale dont l’identité est dévoilée juste avant la cérémonie. Le 9 novembre 2019 à Beyrouth, presque tous ceux qui accompagnent Takreem depuis 10 ans répondront présents : la reine Noor de Jordanie, la présidente du festival international de Beiteddine, Nora Joumblatt, l’ancien ministre algérien des affaires étrangères Lakhdar Brahimi, le conseiller du roi du Maroc André Azoulay ou bien encore les écrivains Marc Lévy et Amin Maalouf .
Les festivités de ce 10ème anniversaire dureront quatre jours avec – nouveauté instaurée en 2018 – des forums, ateliers, conférences sous l’égide de TAKminds, une plateforme destinée à prolonger l’expérience Takreem par des rencontres physiques ou via les réseaux sociaux.
La cérémonie sera à l’image de la diversité des sociétés arabes. https://www.youtube.com/channel/UCOVtJ2YxDrNHwvL2DlzbbHQ Des femmes habillées à l’occidentale en côtoieront d’autres tout aussi élégantes dans leurs abayas noires. Leurs conjoints pourront être en costume cravate ou bien cheikhs en keffiehs blancs. Takreem est en fait la seule fondation de cette région du monde où peuvent coexister dans un même espace des personnes venues du Levant, du Maghreb ou des pays du golfe persique autour d’un événement apolitique et laïque. Takreem reste une exception et s’impose comme un modèle.