Interview de Philippe Rubod: « L’hôtellerie suisse se doit de trouver un nouveau souffle »

10 mai 2020

Interview de Philippe Rubod: « L’hôtellerie suisse se doit de trouver un nouveau souffle »

Interview de Philippe Rubod – CEO Swiss Hospitality Global

Monde Economique: Le confinement drastique, qui a nécessité la fermeture ou la réduction des activités, a terriblement handicapé le secteur hôtelier. Comment analysez-vous la situation de l’industrie hôtelière suisse ?

Philippe Rubod: Hautement fragile. Pour le comprendre, il faut rappeler d’où nous venons. Entre 1970 et 2016, la croissance des nuitées hôtelières en Suisse a été de 0%. Sans que cela inquiète beaucoup de monde. Il y avait pourtant de quoi ! Car pendant la même période, le tourisme mondial bondissait de 700%. Des parts de marché énormes ont donc été perdues. L’hôtellerie suisse a heureusement connu une embellie récente, avec un volume annuel de nuitées passant de 36 à 40 millions entre 2016 et 2019 (+2.5% en moyenne annuelle). Le Covid-19 signe le coup d’arrêt brutal de cette timide tendance, espérée de longue date. La reprise sera laborieuse.  

Monde Economique: La pandémie de Coronavirus va causer une chute massive du chiffre d’affaires pour le secteur du tourisme en Suisse. Selon une étude réalisée par la haute école HES-SO Valais, la perte devrait atteindre 6,4 milliards de francs en 2020. Comment les hôteliers suisses peuvent-ils agir sur l’avenir immédiat ?

Philippe Rubod: En préparant activement dès maintenant l’après Corona. Place à la créativité, au travail en équipe et à la promotion concertée. L’ère du chacun pour soi est révolue. Il faut d’abord repenser/adapter les produits et concepts (hébergement et restauration), les services, les procédures de fonctionnement, la technologie. Et booster la promotion. Toute menace étant une opportunité, la crise du Covid va accélérer la nécessaire transformation d’un secteur hôtelier jadis (1850 – 1920) à la pointe mondiale de l’innovation. Mais qui est passé à côté de la fulgurante mondialisation du tourisme d’affaires et de loisirs, dès les années 70. Ce qui se passe aujourd’hui est en définitive une belle occasion pour l’hôtellerie Suisse de trouver un nouveau souffle.  

Monde Economique: Avant la pandémie, l’industrie hôtelière était déjà très fragile. Si rien n’est fait, les dangers de faillite risquent d’être encore plus importants.  Quelles mesures devront faire partie du plan de relance du secteur ?

Philippe Rubod: La priorité No 1 est le marketing touristique. Digital avant tout. Il doit être massif pour recréer de la demande. Mais en Suisse, il est traditionnellement sous-financé. L’horlogerie suisse investit en moyenne 15% de son chiffre d’affaires en marketing, tandis que l’hôtellerie lui consacre seulement 5%, faute de marges suffisantes. Et nos offices de tourisme régionaux ou fédéraux sont faiblement dotés. Quasi-inexistant il y a 50 ans, le marketing est pourtant la clef de commercialisation de tout produit. Pour relancer la machine hôtelière suisse post-Covid et retrouver durablement des parts de marché, je recommande que les budgets cantonaux et nationaux actuels de notre marketing touristique soient triplés pour les 5 années à venir.

Monde Economique: Partant du constat que la reprise du trafic aérien s’annonce lente et que les frontières vont certainement rester partiellement fermées, comment les hôteliers peuvent-ils tirer profit du tourisme domestique ?

Philippe Rubod: Par chance, celui-ci représentait déjà jusqu’à 50% des nuitées, selon la destination. Pour les hôteliers, l’opportunité de développement de ce marché intérieur sera de créer plus valeur pour les clients. Avec des offres expériencielles novatrices, au rapport prix/qualité sans équivalents dans le passé : sur-classements, repas ou boissons inclus, cadeaux d’arrivée et de départ, gratuité élargie pour les enfants/ados, excusions et soins du corps offerts, etc. Les tourismes de loisirs, bien-être ou médical reprendront en premier. Le tourisme d’affaire attendra. Du 2 au 5 étoiles, l’accueil devra désormais être incomparable de gentillesse. Et les conditions d’hygiène exemplaires.

La Suisse dispose, en outre, de formidables atouts de base pour cultiver son marché domestique. Avec le plus beau réseau routier d’Europe, permettant de voyager confortablement, en toute sécurité sanitaire, d’un bout à l’autre du pays. Et partout, des paysages à couper le souffle. Les Romands redécouvriront la Suisse Alémanique, et vice-versa. En été, le charme méditerranéen du Tessin saura combler les envies de dépaysement. 

Monde Economique: Distanciation sociale, port du masque, utilisation de produits désinfectants sont autant de mesures qui font désormais partie du quotidien des citoyens. Les suisses aussi bien que les touristes étrangers n’auront-ils pas de nouvelles exigences, notamment en matière de sécurité sanitaire et de propreté ?

Philippe Rubod: Dans tous les cas, de nouvelles pratiques sont à l’ordre du jour. Elles vont se généraliser et transformer la façon dont on gère les établissements et les clients. Certaines chaines hôtelières déploient déjà des procédures innovantes de nettoyage et désinfection de leurs chambres. Et communiquent massivement à ce propos. Qui pouvait croire, il y a seulement 6 mois, que ce sujet deviendrait un thème majeur de marketing touristique ? La Suisse bénéficie dans le monde d’une image de pays propre et respectueux des gens et cultures. Un capital précieux qu’il faudra mettre largement en avant pour la promotion de son tourisme post-crise Covid. 

Interview réalisée par Thierry Dime

 

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