En apparence, tout en lui respire le « système », l’« establishment », la jeunesse énarque et une ambition bien conformiste. Mais qu’on ne se méprise pas : l’ange d’Amiens[1] est aussi un ange destructeur. Pour ses 37 ans, Emmanuel Macron a, en effet, réussi à pulvériser pas mal de stéréotypes de la vie et de la mentalité politiques françaises.

A la fois briseur de stéréotypes et gardien du système, le jeune ministre français de l’Economie est un ange bien baroque, qui pulvérise pour mieux réconcilier et pour mieux réunir les contrastes. En effet, ce que Macron, en s’acheminant déjà plus ou moins ouvertement vers la présidentielle de 2017, cherche à démolir, ce sont les murs de séparations et de discriminations de toutes sortes. Ce à quoi il s’attaque, ce sont les ruptures elles-mêmes – depuis les grands schismes de la politique française jusqu’aux plus subtiles et insaisissables des représentations antinomiques. Comme celle par exemple opposant – chose particulièrement sensible en France – le président « lettré » au président de type « politicien pur » ou à celui dont l’orientation est avant tout pragmatique- économique. Pays d’une civilisation qui rayonne partout dans le monde, la France, par le biais de ses élites intellectuelles et artistiques (dont personne n’osera nier le poids sur l’opinion publique) a de tout temps crédité les hommes d’Etat « éclairés » et hautement cultivés au dépens de ceux qui n’exerçent la haute fonction publique que d’une manière étroitement politico- économique. Pourtant, comment nier la nécessité, à la tête de l’Etat, d’un homme ou d’une femme hautement qualifiés pour assumer l’administration politique et la gestion économique du pays ?

Eh bien, c’est à croire que ces deux figures – le « lettré » et l’économiste, jusqu’alors irréductiblement opposées en France, sont en train d’être réconciliées par une personne qui – très providentiellement ! – les incarne toutes les deux à la fois. Cette personne n’est autre qu’Emmanuel Macron, le financier de haut vol dont pourtant la solide formation littéraire et philosophique, combinée à ses autres compétences, impressionne et séduit déjà une France cultivée et raffinée. Celle-ci, à laquelle le jeune faucon de la finance a présenté d’authentiques lettres de noblesse – un DEA de philosophie et le glorieux fait d’avoir été un moment une sorte d’assistant auprès de Paul Ricoeur – ne cesse pas d’observer avec fascination l’avènement de Macron ; on la sent de plus en plus prêts à se laisser définitivement séduire et à abandonner ses réticences.

D’ailleurs, l’ambitieux d’Amiens leur facilite considérablement la tâche : ministre dans un gouvernement de gauche mais agissant au nom d’une économie libérale, il assouplit et relativise cette autre antinomie typiquement française et dont on connaît l’intransigeance et la radicalité tout au long du 20-ème siècle : la distinction gauche-droite. Le jeune responsable de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique dans l’équipe de Manuel Valls non seulement relativise cette opposition mais il la ringardise, la rend désuète. Là encore, Macron œuvre – inconsciemment ou non – pour une réconciliation politique, en brisant des stéréotypes quasi-centenaires.

Mais la politique n’est pas le seul front où Emmanuel Macronagit en s’attaquant à des règles de jeu préétablies et en apparence inviolables : sa plus belle réussite à ce jour est dans un tout autre domaine. Et là, plus qu’un stéréotype, l’ange ravageur d’Amiens a, avec grâce et bien allégrement, brisé un préjugé bien tenace : en 2007, le très jeune alors Emmanuel épousait sa prof d’anglais, de 20 ans son aînée. Pourquoi préjugé, alors que nos sociétés postmodernes se vantent d’être devenues parfaitement libérales au niveau des mœurs affectives- conjugales? Eh bien, parce que, à une époque où certes, on salue toutes sortes de configurations insolites entre partenaires, on reste d’une mesquinerie et d’un traditionalisme effarants face à toute union de jeune homme avec une femme considérablement plus âgée, relation jugée immanquablement comme louche et ambiguë. Or, non content d’épouser sa prof, Emmanuel Macron s’affiche au grand jour avec cette épouse tellement plus âgée que lui !

Et si, l’année suivante, année du 10-ème anniversaire de son extraordinaire mariage, la dame de cœur de Macron devenait Première dame de France ? Plus qu’une victoire politique pour celui qui a rapproché la gauche et la droite, la République des Lettres et la 6-ème puissance économique au monde, une victoired’Emmanuel Macron en 2017 sera aussi un triomphe sur les préjugés et les lâches stéréotypes, un triomphe qui, à l’exemple du couple du nouveau président, comportera un prometteur contrat de génération pour la société française.

[1] Nous utilisons cette image en référence à la célèbre statue de la cathédrale d’Amiens, la ville qui a vu naître et grandir E. Macron :