Interview de Me. Yama Sangin, Avocat & Fondateur de Digilegal
Le Monde Economique Longtemps préservé des impacts de la transformation numérique, on peut affirmer que le constat est désormais unanimement partagé : l’uberisation va transformer en profondeur à la fois la pratique du droit et l’exercice de la justice. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Me. Yama Sangin:Je pense qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour notre profession. Les modes de consommation ont changé, de sorte que la plupart des métiers sont aujourd’hui impactés et doivent composer avec les nouvelles technologies. Le train de la transformation numérique est en marche, il vaut mieux monter dedans maintenant plutôt que de se retrouver sur le quai de la gare d’ici quelques années.
Les avocats, à mon sens, gagnent à avoir une approche plus « customer-centric » de l’activité. Le client et ses besoins doivent être au centre des services proposés. On peut donc y voir une réelle opportunité de repenser le fonctionnement interne de nos études mais également les relations avec nos clients.
Le Monde Economique Si les legaltechs commencent tout juste à se faire une place sur le marché suisse, elles rencontrent un véritable succès dans les pays de la Common Law, à commencer par les Etats-Unis. Qu’est-ce qui explique ce conservatisme ?
Me. Yama Sangin:Pas seulement dans les pays de common law – la France, par exemple, en compte environ 150 à 200 legaltechs.
Les Américains ont toujours été des précurseurs en la matière et ont rapidement vu les intérêts à utiliser la technologie pour venir en aide aux métiers du droit. A cela s’ajoute que le terreau est bien plus fertile aux États-Unis qu’ailleurs. En effet, non seulement c’est le plus grand marché du monde mais il y a un vrai écosystème qui tourne autour des startups avec la création d’incubateurs, l’appui de business angels ainsi que de nombreux venture capitalists. Ces éléments font qu’ils ont des années d’avance sur nous.
La Suisse n’est pas nécessairement plus conservatrice. Preuve en est avec le nombre sans cesse croissant de startups, PME, etc., qui constituent le 99% des entreprises suisses. Toutefois, je pense que notre écosystème est moins attirant pour des potentiels investisseurs, notamment parce que le marché suisse est comparativement petit.
A noter que s’agissant des legaltechs suisses, les avocats sont confrontés à une réglementation plus stricte que dans d’autres pays ce qui peut freiner leur esprit d’entreprise.
Le Monde Economique Parce que recourir à un avocat à 400 CHF de l’heure, n’est pas toujours à la portée de tous, vous avez lancé il y a très peu, la plateforme Digilegal, avec l’ambition de simplifier le conseil juridique et le rendre accessible à tous. Est-ce le bon moment ?
Me. Yama Sangin:Aujourd’hui, beaucoup de personnes refusent de consulter des avocats par peur des prix, de la complexité ou par manque de temps. Le prix est très dissuasif et peut conduire à adopter une réelle stratégie d’évitement de l’avocat.
Or, avec la croissance des échanges commerciaux, la multiplication des partenaires, les achats en ligne, etc. les clients ont plus que jamais besoin de pouvoir consulter un avocat en amont et faire vérifier leurs contrats, leurs projets, afin d’éviter des problèmes coûteux par la suite.
Le Monde Economique Vous promettez une réponse juridique dans les deux heures pour un prix de 19,50 CHF la question. N’y a-t-il pas un risque de penser que, parce que c’est moins cher, le service délivré par Digilegal sera de moindre qualité ?
Me. Yama Sangin:Non, je ne pense pas. On ne parle pas du même service. Pour prendre une analogie : dans un avion, que vous voyagiez en première classe ou non, vous arrivez à la même destination, avec le même avion. Ainsi, nos avocats sont tenus au même niveau de diligence que les autres. Cela étant, vous ne bénéficierez pas du confort de la première classe.
Notre service s’adresse aux personnes qui souhaitent obtenir rapidement une première orientation juridique, de manière facilitée et à prix abordable. En outre, ce sont des avocats inscrits au barreau qui répondent aux questions.
Le Monde Economique Les technologies évoluent. Peut-on imaginer que d’ici quelques années les questions les plus usuelles posées par certains justiciables fassent l’objet de réponses par le seul truchement de l’intelligence artificielle ?
Me. Yama Sangin:Il est encore trop tôt pour le dire. Cela étant, la technologie évolue sans cesse et je suis persuadé que des algorithmes pourront venir en aide aux métiers du droit dans un avenir proche.
Le Monde Economique Présent aujourd’hui uniquement dans quelques cantons notamment de la suisse romande avec le succès au rendez-vous, alors quelles perspectives pour Digilegal?
Me. Yama Sangin:A ce jour, nous servons des clients à Genève, Vaud, Fribourg, Berne, Neuchâtel, Valais, Jura et Zurich. L’idée est de servir toute la Suisse, et dans toutes les langues, car nous constatons que notre service répond à un réel besoin. Nous voulons créer une solution pérenne en qui tout le monde peut avoir confiance. Cela prend du temps.
Par ailleurs, nous entamons notre processus de levée de fonds et sommes actuellement à la recherche d’investisseurs.
Cette levée de fonds nous permettra de renforcer notre présence en Suisse romande mais également s’étendre sur toute la Suisse alémanique, et pourquoi pas à l’étranger.
Interview réalisée par Thierry Dime
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