Tiger Woods, Roger Federer… : Pourquoi les sportifs d’élite inspirent-t-ils les dirigeants de l’économie ?

14 novembre 2011

Tiger Woods, Roger Federer… : Pourquoi les sportifs d’élite inspirent-t-ils les dirigeants de l’économie ?

Il n’est pas rare d’entendre, dans les transports en commun ou ailleurs, de jeunes hommes ou femmes commenter vivement tel ou tel affrontement dans le cadre du Grand Chelem.

Un coup d’œil sur ces passionnés suffit de les identifier comme appartenant à la catégorie des cadres supérieurs et, si l’on choisit de poursuivre son observation- réflexion, de supposer avec quelque certitude que le petit groupe en vive discussion sur le tournoi de tennis qu’il semble d’ailleurs avoir suivi en direct et en plein lieu de travail – doit compter au moins un important décisionnaire financier ou économique.

Et à mieux regarder, c’est cette apparence même d’appartenance au monde de la haute performance individuelle qui semble permettre à ces mordus tout particuliers de tennis de parler de « Rodgeur », de Rafael ou de Novak comme de leurs inspirateurs directs voire comme de leurs compagnons de destin. Voire encore comme de leurs alter- ego…

Au- delà des simplifications sociologiques qui font correspondre à chaque sport un public social bien défini tout en réservant le tennis aux strates les plus élevées de la société, d’autres correspondances, et de loin plus subtiles, sont à retenir pour expliquer la préférence manifestée par des entrepreneurs et des cadres pour la discipline où excelle Roger Federer.

Plus que l’affinité entre les deux « élites » (« sport d’élite » et « cadres supérieurs »), c’est la complicité « économie » et « sport » qu’il conviendrait d’explorer si nous voulons comprendre non seulement l’identification des cadres aux tennismen mais aussi et beaucoup plus en général l’intéressant lien qui lie l’homme moderne avec le sportif.

Et lorsque l’on pense à l’homme moderne surtout dans l’univers économique où le rendement est strictement chiffré et dépend étroitement d’autre part de la bonne gestion du temps – on a en vue tout homme ou femme qui se sent responsable de ce qu’il (elle) fait et qui vit dans le souci quotidien d’un rendement toujours meilleur. Chef(-fe) d’entreprise ou « simple » ouvrier(-ère), ces hommes et ces femmes travaillent le plus souvent sous une pression considérable et sont soumis à des exigences de rapidité, de vigilance, de présence d’esprit à tout moment, de performance et de compétitivité, qui sont très pareilles à celles auxquelles obéissent les sportifs(-ves) de haut niveau.

Comment expliquer cette grande affinité entre l’« Homo Economicus » et l’« Homo Sportivus » ? Remarquons avant tout que l’un comme l’autre, dans leur variante moderne très différente de la version encore rudimentaire qu’ils avaient tous les deux au Moyen âge, tirent leur naissance de cette même époque des 16-ème – 18-ème siècles européens où s’amorçait un changement radical dans les mentalités et s’installait une vision du travail et de l’activité en général qui n’avait pas d’analogue dans les siècles précédents de l’histoire de l’humanité.

Dans cette Aube des Temps modernes et non sans l’influence de la Réforme protestante et calviniste, on abandonnait les nonchalances économiques du Moyen âge pour s’appliquer à « fructifier les talents » et à contribuer, comme le disait J. Calvin, par un travail responsable et consciencieux, à faire de ce monde « le spectacle de la gloire de Dieu ». Le Réformateur de Genève prescrivait d’autre part à veiller à ne plus concéder un seul instant à la paresse ou à quelque loisir non- rentable car, disait-il, on va rendre compte de chaque instant perdu devant le trône céleste !

Et c’était parti pour libérer des énergies cachées et créer de bouillonnantes générations d’hommes et de femmes qui travaillent, qui s’affairent, qui courent tout le long de la journée, qui fructifient et multiplient. Et tout cela – dans une parfaite maîtrise du temps, qui est désormais un temps incarné : celui des réalisations humaines, de la multiplication des biens. Dans l’esprit des Temps nouveaux et au même titre que dans l’économie, le sport devient un terrain d’activité où se cultive l’idéal du geste autant rapide que précis et se poursuit la quête de haute performance et du dépassement des limites.

D’autre part, le sport n’est plus un « spectacle pour le spectacle » comme l’étaient les jeux anciens mais la réplique voire la véritable sublimation d’une réalité concrète et toute quotidienne dont il s’est largement inspiré. On vient s’y ressourcer et dans la gloire où baignent des champions et des double- triple tenants de titres, on vient valider nos propres victoires : plus petites ou plus grandes, sanctionnant l’élan décisionnaire de cadres supérieurs ou au contraire les efforts purement exécutifs d’ouvriers ou d’employés, elles sont toutes obtenues dans ce sport quotidien et parfois non moins éprouvant de celui que l’on célèbre sur les podiums qui s’appelle travail de tous les jours.

Aujourd’hui on peut clairement parler d’un exemplarisme sportif. Mais sans oublier que le sport ne fait que refléter un esprit général, celui d’une économie moderne toute entière tendue vers la haute performance et le rendement élevé.

Dessy Damianova/Rédactrice chez Le Monde Economique

 

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