Interview de Caroline Burrus – Project Manager et Membre du Conseil d’Administration du Groupe Burrus
Le Monde Economique : Depuis le début du COVID-19, le mot agile s’installe de plus en plus dans le jargon des entreprises comme une nouvelle approche pour répondre à des problématiques d’organisation et de performance. Était-il temps ?
Caroline Burrus : En tant que groupe familial, opérant depuis 1923 dans le secteur de l’assurance puis du courtage, les diverses crises ont construit notre identité. Je pense que c’est justement parce que l’agilité est au cœur de notre ADN que nous avons perduré et fait grandir le Groupe Burrus à ce qu’il est aujourd’hui : un acteur européen important, comptant environ 1400 collaborateurs dans plus de 25 filiales.
Depuis toujours, nous sommes conscients que si nous voulons passer le témoin aux générations futures, nous devons être et rester agiles. D’ailleurs, ce devoir ne concerne pas que les entreprises familiales, mais toute entreprise.
Je suis convaincue que les méthodes agiles, développées depuis la fin des années 90 – et surtout adoptées dans l’IT et le Marketing – vont au-delà des problématiques organisationnelles ou de performance, elles doivent être inscrites au cœur de l’entreprise.
Désormais la complexité est permanente et l’agilité est incontournable pour avancer et progresser. Elle permet non seulement à la direction de naviguer les opportunités mais aussi aux équipes de gérer leurs projets de manière souple. Le Covid-19, vécu comme un bousculement de la stratégie « établie » a poussé les entreprises qui n’adoptaient pas encore des systématiques agiles à les adopter précipitamment… Un exercice difficile lorsque l’agilité ne fait pas encore partie de l’ADN. J’espère que cette dynamique entrera dans les mœurs à tous les niveaux, de la stratégie aux processus, en passant par le pilotage de performance ou de la gestion de projets.
Le Monde Economique : De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la méthode agile ?
Caroline Burrus : L’essence même de l’agilité est la capacité de s’adapter rapidement à l’inattendu, tant au niveau de l’environnement qu’au niveau des « variables » d’un problème. L’agilité, à ne pas confondre avec réactivité, souligne la notion de la continuité – même si les variables évoluent, l’objectif long-terme doit être assuré dans le respect des valeurs établies.
Le Groupe Burrus, pour lequel je représente la 4e génération, a cette mission : transmettre un groupe sain, moderne et pérenne. Au final, mon père Christian Burrus et moi, ne sommes que des passeurs de témoins dans la longue vie de l’entreprise. L’agilité est un facteur indispensable du succès de notre mission.
Celle-ci s’est déclinée en plusieurs méthodes ces dernières années. Au niveau de la gestion de projet, la méthode agile se concentre sur des cycles courts sur lesquels travaillent des petites équipes autonomes, composées de personnes internes et externes à l’entreprise. Cette organisation du travail permet aux équipes de gérer un projet de manière flexible, itérative, collaborative et transparente avec le client.
Lorsqu’on parle de méthode agile, l’on mentionne aussi souvent Kanban et Scrum. Scrum est en fait une structure utilisée pour implémenter la méthode. Dans ce cadre, on nomme un Chef de Produit qui définit les caractéristiques du produit, et l’équipe de projet composée de tous types de métiers nécessaires à la réalisation du projet. Ensemble ils se lanceront dans des Sprints ponctués de réunions journalières de 10-15minutes.
Le Monde Economique : Ayant adopté des pratiques agiles dans différents projets avec vos équipes, quel retour d’expérience pouvez-vous partager avec nous ?
Caroline Burrus : De mon point de vue, il faut que toute méthode agile naisse de la vision globale de l’entreprise, cela doit découler d’une vision du management car ces méthodes ne peuvent pas être appliquées de façon isolée. C’est dans cet esprit que la culture de l’entreprise est essentielle : elle doit être favorable à l’action, le droit à l’erreur, prône au feedback transversal, à la remise en question et accueillir le changement.
Car nous sommes dans le vif du sujet, et pour ne parler que de la « méthode agile », une pratique m’a particulièrement aidée à performer durant le Covid-19. J’ai adopté les « stand-up » meetings, des rendez-vous de 15minutes avec mon équipe tous les matins. Ces réunions ont garanti un contact efficace journalier, permettant de faire le point sur les sujets brûlants et donnant à chaque partie les outils pour performer durant la journée.
Avancer ainsi par itérations successives nous a permis de reprioriser les tâches tout en respectant la trame globale du projet. C’est win-win car le rythme et l’efficacité ont été plus soutenu tout en améliorant notablement l’esprit d’équipe. Maintenant ces rendez-vous ponctuels font partie de notre routine : il vaut mieux des réunions fréquentes et courtes que des réunions longues et rares.
Le Monde Economique : Pourquoi faire de l’agilité ?
Caroline Burrus : L’agilité, tant dans la gestion de projet que dans le management peut être un réel accélérateur de projets et de talents. C’est en explorant les compétences et envies individuelles des collaborateurs qu’ils deviennent véritablement des acteurs du projet, ce qui à son tour, accroît la motivation et la performance. Ces méthodes ont eu comme force de développer nos talents de façon considérable, l’agilité a permis aux équipes de se responsabiliser, d’être alerte à l’environnement et réactif lorsque celui-ci change.
Pour le management, les méthodes agiles permettent ; d’une part, d’avoir toutes les cartes en main pour réagir rapidement en cas de déviation et de savoir si le collaborateur a besoin de soutien ; d’autre part, sur le plan humain, de souder l’équipe, de créer une vision et un objectif commun en alignant tous les collaborateurs sur la vision long-terme.
En somme, la gestion de projet agile, implique un rythme collaboratif soutenu, elle renforce la cohésion, accroît la performance, et assure que le projet en cours de développement soit toujours adapté au contexte changeant.
Le Monde Economique : Au niveau de l’individu, les modèles qui valorisent l’autonomie conviennent particulièrement aux personnes motivées. Cela implique-t-il pour vos équipes d’abandonner des repères, parfois ancrés depuis des années voire des décennies ?
Caroline Burrus : Effectivement, l’une des clés du modèle est que chacun connaisse bien son périmètre d’action ainsi que celui de ses collègues. En réalisant que les rôles sont complémentaires, la motivation de chacun s’accroit, l’on sait de quelle façon sa tâche est essentielle et l’on se bat pour délivrer un travail de qualité.
Dans le cadre de mes activités, j’ai eu la chance de travailler avec des personnes qui étaient force de proposition et avaient le souhait d’être autonomes. Je pense que ces deux traits de caractères sont indispensables car si une personne ne se sent pas motivée et responsable, les méthodes agiles ne peuvent pas fonctionner. Donc pour répondre à votre question, à petite échelle, non pas d’abandon de repère.
Au niveau de notre groupe ; la croissance du Groupe Burrus s’est faite en grande partie par acquisitions externes, cela nous force à rester très agiles et dynamiques afin de pouvoir incorporer rapidement des nouvelles filiales. Aujourd’hui, nous sommes sur 7 pays et recherchons constamment à agrandir notre périmètre d’action.
L’une des spécificités du Groupe Burrus est que les filiales ont toutes gardé une grande indépendance avec bien souvent un entrepreneur à la tête des équipes… De part cette autonomie, l’influence du dirigeant est capitale, soit il est adepte de processus traditionnels, parfaitement écrits, schématisés et un peu rigides et cela se ressentira dans ses équipes qui perdront leurs marques avec les méthodes agiles ; soit c’est le contraire et là les équipes innovent et s’adaptent aux nouvelles méthodes.
Le Monde Economique : Cette pandémie démontre la fragilité des structures pyramidales et hiérarchiques traditionnelles. Quelles perspectives pour le groupe Burrus ?
Caroline Burrus : Lorsque des méthodes agiles sont implémentées, l’équipe -inclus les dirigeants- doit travailler en collaboration et attribuer les tâches de façon transversale au collaborateur le plus compétent pour la tâche donnée, qu’importe la hiérarchie.
Pour nous il est essentiel de faire un parallèle avec les filiales et d’appliquer ce modèle également au niveau du Groupe. Nous veillons à maintenir l’autonomie des filiales, afin de les responsabiliser et de permettre au Groupe de maintenir une dynamique essentiellement tournée vers l’avenir.
En finalité, en tant qu’entreprise familiale, nous sommes ancrés dans le temps et notre plus grand rôle est de passer un témoin sain aux générations futures. C’est parce que nous sommes tournés vers le « très » long-terme, que nous devons bâtir un groupe solide, pérenne et agile, prêt à assumer les challenges que l’avenir nous réserve.
Interview réalisée par Thierry Dime
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