Céline Mahler fondatrice de la boutique en ligne Gancho Boleo, à Genève, une boutique spécialisée dans la conception et la création de tenues de danse pour les danseurs de tango.
Monde Economique : La petite taille du marché suisse fait que la création d’une nouvelle ligne de vêtement est devenue un exercice plutôt risqué. Qu’est-ce qui vous a incité à vous lancer dans la conception et la fabrication de vêtements pour le tango en dépit des risques ?
Céline Mahler : S’agissant du monde du tango, la demande est très grande au contraire. On trouve des vêtements de tango dans de rares boutiques, dans certaines écoles de danse et parfois lors d’évènements comme les festivals. Ce qui est proposé est souvent de basse qualité ou hors de prix. Les danseurs de tango à qui j’ai présenté Gancho Boléo ont de manière générale été très enthousiastes, tant pour les modèles adaptés aux critères de confort et d’élégance que requiert le tango, que pour la recherche méticuleuse de beaux tissus, ou encore l’idée du sur-mesure. Tout passionné aime investir dans du matériel haut de gamme. La tenue de tango est pour le danseur un élément primordial. Se sentir confortable et élégant amène du bienêtre et de la confiance en soi. Cela peut donc aller jusqu’à générer un meilleur échange avec les autres et une danse de plus grande qualité : « depuis que je veille à vêtir des tenues dans lesquelles je me sens confortable et belle », m’a dit un jour une fidèle cliente, « eh bien je danse mieux ! ».
Monde Economique : Aujourd’hui à cause de la gestion des retours la plupart des boutiques en ligne sont non rentables, comment espérez-vous tirer votre épingle du jeu face à un tel phénomène ?
Céline Mahler : Bien que mes modèles soient publiés sur ma page Facebook Gancho Boleo, je ne vends pour l’instant pas en ligne. Ma clientèle est principalement sur Genève et environs. L’idée est de me faire connaitre petit à petit lors de mes nombreux voyages pour le tango en Europe. Je prends quelques pièces par évènement et les vends sur place.
A Genève, mes clientes viennent à la maison. Nous buvons le thé et papotons sur les aspects intarissables du tango. C’est un moment pour elles. Elles essaient les modèles prêt-à-porter puis nous discutons du top qui pourrait être combiné avec la jupe dont elles viennent d’avoir le coup de cœur. Je leur fais également découvrir ma réserve de tissus, nous discutons de la couleur qu’elles désirent pour le verso de leur jupe réversible ou encore de la création d’un nouveau modèle. A l’aide de mon nuancier pantone, je déploie sous leurs yeux 1000 couleurs. Elles frémissent alors à l’idée de pouvoir choisir le ton exact qui mettra en valeur leur tenue. J’aurai ensuite la mission de trouver le tissu à l’honneur, dans les villes que le tango m’amène à découvrir… Paris, Copenhague, Sofia, Milan…
Monde Economique : En Suisse la plupart des créateurs de mode sont obligés de s’exiler, avez-vous l’intention d’ouvrir une boutique dans une autre capitale européenne afin d’assurer le succès de votre marque ?
Céline Mahler : L’aventure ayant commencé il y a quelques mois, je vais à mon rythme. Je développe ma marque en parallèle de mon activité principale de graphiste indépendante. J’ai beaucoup d’idées et peu de temps. Mais le peu mis en place m’a déjà donné de beaux résultats. L’enthousiasme s’est aussi traduit par des propositions de la part d’organisateurs de milongas (les soirées où l’on danse le tango) ou de festivals, pour exposer mes créations. Il est évident que ces lieux sont les plus stratégiques en matière de vente, puisque le tanguero est en action, dans son élément et qu’il sera ravi d’acquérir une nouvelle tenue pour sa prochaine soirée. Aussi, il s’agit de rassemblements de passionnés pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de participants venant de toute l’Europe. Je pense donc que ma présence lors de ces évènements sera dans un premier temps plus avantageuse que d’ouvrir des boutiques dans d’autres villes, étant donné que mon public cible se déplace et se réunit en de mêmes lieux.
Monde Economique : La plupart de vos créations sont fabriquées en Hongrie, Est-ce le coût de la main d’œuvre qui vous a guidé dans ce choix ?
Céline Mahler : Je suis arrivée à collaborer avec mon couturier Hongrois au gré de mes voyages. L’aventure a commencé il y a deux ans lorsque l’envie m’est venue de faire mes propres tenues de tango. J’ai appris à coudre et j’ai commencé à réaliser toutes les idées qui jaillissaient. Petit à petit, les filles m’ont demandé de leur faire également des vêtements. N’étant pas professionnelle, j’ai toujours refusé. L’idée cependant me plaisait, voyant un intérêt évidant de la part de mes consœurs.
Depuis janvier dernier, j’ai voyagé 13 fois à Budapest. Je suis complètement tombée en amour avec cette ville. J’ai adoré le tango, les gens, l’atmosphère et les petits cafés où j’aime travailler. L’intérêt m’a même poussée à entreprendre d’apprendre cette langue d’une complexité rare.
Le jour où un ami m’a présenté un couturier avec qui le contact a tout de suite bien passé, je me suis dit que le moment était venu. Après de piètres tentatives d’anglais traduit en hongrois, nous nous sommes aperçus que nous pouvions communiquer en allemand. Bien que nous le parlions piètrement tous les deux, nous nous sommes extraordinairement bien entendus. Travailler avec lui est un vrai bonheur : il est aussi précis dans les détails que toujours prêt à trouver de belles idées et des solutions pratiques.
La plupart des jupes sont des pièces uniques. Je dédie beaucoup de temps dans la recherche de tissus et une partie des modèles sont sur mesure. Le tarif de production n’est probablement pas le même qu’en Suisse, mais cela me permet de faire des pièces originales et de qualité à des prix accessibles.
Monde Economique : Pour le moment votre boutique ne propose qu’un seul produit à savoir la vente de jupes de tango réversibles. Pensez-vous élargir votre gamme de produits à terme ?
Céline Mahler : Je propose pour l’instant des jupes réversibles, jupes simples et tops. La tenue de la milonguera est élégante tout en restant relativement sobre. Le principe du top et de la jupe réversible est excellent car il permet de combiner et ainsi offrir de multiples options. Une danseuse se doit de posséder la panoplie suffisante qui lui permettra de se vêtir lors de ses nombreuses soirées. De 3 à 7 fois par semaine pour une passionnée, pouvant aller jusqu’à 5 milongas lors d’un seul évènement sur un week-end.
En ce qui concerne les vêtements d’hommes, j’aimerais commencer avec les pantalons. Si pour les femmes ce n’est pas évident d’acquérir de belles tenues de tango, trouver des pantalons chics pour hommes est quasiment de l’ordre de l’impossible. Pour en avoir parlé, l’intérêt est général.
Récemment, j’ai participé à un festival. Suite à une longue discussion avec une des artistes invitées, j’ai pensé à un nouveau public : les meastras et danseuses de tango professionnelles. Elles auront là besoin de tenues plus seyantes, plus échancrées, plus éclatantes. Explorer ce monde me comblerait, ayant depuis toujours été fascinée par les robes élégantes et les paillettes.