Par Kevin Loome, CFA, gestionnaire obligataire high yield chez T. Rowe Price
Les baisses de notations et défauts de paiement ont eu un impact majeur sur la classe d’actifs high yield
Une révision à la baisse des notations de crédit sans précédent ainsi qu’une forte hausse des défauts de paiement ont redessiné le marché américain des obligations à haut rendement suite à l’arrivée du coronavirus. Cette situation est une occasion unique d’investir dans des entreprises de qualité qui sont bien placées pour rebondir de manière importante à mesure que la reprise du marché se poursuit. Mais cela a également créé un environnement d’investissement tumultueux dans lequel le risque de crédit devrait rester élevé à court terme.
L’ampleur des baisses de notation des « fallen angels » américains (sociétés perdant leur statut d’investissement) au cours des trois derniers trimestres a été sans précédent. Avant la pandémie, les titres notés BB représentaient environ 49 % de l’indice ICE BoA US High Yield Constrained. Aujourd’hui, ce chiffre est plus proche de 56 %.
Les défauts de paiement ont également augmenté. Selon Moody’s Investors Service, le taux de défaut des obligations américaines à haut rendement sur 12 mois en août était de 8,7 %, contre 3,2 % en août 2019. À titre de comparaison, après la crise financière mondiale, le taux de défaut a atteint 14,7 %, ce qui reste un record historique. Un grand nombre des retards de paiement proviennent cette année du secteur de l’énergie, qui a été durement touché par l’effondrement des prix du pétrole brut dans le contexte d’une chute mondiale de la demande en énergie depuis mars. L’impact de ces défauts a été amplifié par le fait que les taux de reprise dans le secteur de l’énergie – qui représente environ 13 % du marché américain des produits à haut rendement – ont également été nettement inférieurs aux normes historiques.
La plupart des industries qui ont subi les conséquences du coronavirus vont se rétablir. Lorsque les restrictions de la vie quotidienne seront assouplies, il est probable que les gens voudront retourner dans les restaurants, les hôtels, les casinos, les théâtres et, éventuellement, sur les bateaux de croisière. Toutefois, il est impossible de prédire quand cela se produira, car on ignore l’évolution du virus – et donc la probabilité de nouveaux confinements. Il est donc impératif d’identifier les entreprises qui ont le plus de chances de traverser la période actuelle et d’en sortir plus fortes.
Afin d’identifier ces entreprises, nous nous concentrons principalement sur la couverture des actifs et la liquidité, cette dernière étant un problème majeur pour les entreprises depuis que le coronavirus a frappé. Au cours d’une année normale, seul un pourcentage faible à moyen du produit des nouvelles émissions d’obligations est affecté aux besoins généraux des entreprises, mais cette année, ce chiffre a été d’environ 26 %. En d’autres termes, les entreprises ont levé des fonds pour créer des liquidités excédentaires alors qu’elles sont confrontées à ces incertitudes. Les entreprises les plus susceptibles de rebondir fortement après la crise actuelle seront celles des secteurs durement touchés qui conservent suffisamment de liquidités dans leur bilan pour résister à toute nouvelle flambée du virus, et dont les modèles d’entreprise restent robustes.
Les entreprises qui survivront devront relever des défis difficiles en cours de route. Tant que le coronavirus subsistera et qu’un vaccin efficace ne sera pas disponible, les entreprises américaines risquent de voir leur chaîne d’approvisionnement perturbée si des mesures de confinement sont à nouveau prises.
Les autres risques sont plus locaux. Si le candidat démocrate Joe Biden remporte l’élection présidentielle de novembre, il est probable que la politique du gouvernement sera fortement recentrée sur certains secteurs. Par exemple, les producteurs d’énergie – les plus grands émetteurs d’obligations à haut rendement – pourraient voir leurs activités restreintes par le plan de lutte contre le changement climatique de Biden, d’un montant de 1 700 milliards de dollars, qui s’engage à accroître considérablement l’utilisation des énergies renouvelables dans les secteurs des transports, de l’électricité et du bâtiment. Le plan énergétique de Trump se concentre sur l’expansion du forage pétrolier et gazier sur les terres nationales et en mer, et ne comporte aucun engagement pour inverser le changement climatique.
Le secteur de la santé sera également touché par le résultat de l’élection. Si le président Trump remporte un second mandat, il poursuivra sa quête en vue de démanteler l’Affordable Care Act (ACA) de Barack Obama, qui profiterait aux fabricants de médicaments et aux grands assureurs basés aux États-Unis. Le secteur des soins de santé représente un peu plus de 9 % du marché américain des produits high yield, les hôpitaux et les établissements de soins de santé représentant environ 4 % du marché total – et c’est ce dernier sous-secteur qui serait particulièrement touché si l’ACA était abrogé, étant donné qu’environ 20 millions d’Américains non assurés ont bénéficié de soins hospitaliers « couverts » dans le cadre de l’ACA.
En revanche, Biden s’est engagé à étendre et à renforcer l’ACA, ce qui constituerait un défi pour les entreprises pharmaceutiques américaines en abaissant la barrière à l’entrée pour les fabricants de médicaments étrangers. La promesse de Biden d’offrir aux Américains une nouvelle option d’assurance de santé publique ne sera probablement pas bien accueillie par les grands assureurs existants. Cependant son engagement à accroître les tests de dépistage de coronavirus et à promouvoir de nouvelles thérapies profitera probablement aux entreprises de biotechnologie et aux fabricants d’équipements.
Le marché américain des obligations à haut rendement continue d’offrir de très bonnes opportunités. La faiblesse des taux signifie que les investisseurs doivent descendre plus bas dans le spectre du crédit pour trouver un rendement réel, et le marché américain des obligations à haut rendement offre ce potentiel.
Les flux d’entrée sur le marché américain des obligations à haut rendement ont atteint des niveaux presque record malgré la hausse des défauts de paiement, ce qui indique que le marché est très orienté vers le futur. Dans l’ensemble, le marché américain high yield offre aujourd’hui une opportunité de revenus importante et une opportunité modérée de rendement total.
L’inefficience du marché et le risque de défaut demeurent. Cela marque l’importance d’une approche active de la classe d’actifs high yield – le rendement n’est pas un acquis, en particulier dans le contexte actuel. La stratégie à adopter pour les 12 prochains mois consistera donc à générer des revenus et à éviter de commettre des erreurs de sélection de crédit. Une gestion active et une sélection bottom-up des titres seront essentielles pour y parvenir.
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