Interview d’Amarildo Pilo – CEO de PILO & CO SA
Monde Economique : La COVID-19 frappe de plein fouet l’industrie horlogère. Selon la banque zurichoise Vontobel, les exportations devraient diminuer d’au moins un quart cette année. Quelle est votre appréciation de la situation actuelle de l’horlogerie suisse ?
Amarildo Pilo : 2020 a été une année compliquée pour la plupart des industries. Cela inclut, évidemment, l’industrie horlogère suisse. Il est tout à fait normal que dans des moments de crise ou, actuellement, avec les problèmes sanitaires liés à la Covid19, d’être une des industries les plus touchées car nous ne vendons pas des produits de première nécessité.
Pourtant, l’année avait bien démarrer. Il faut considérer que l’industrie horlogère est très liée avec le continent asiatique, spécifiquement la Chine. Le client chinois est affamé et de plus en plus connaisseur de montres suisses.
Les premiers signaux de cette crise ont démarré fin décembre 2019 en Chine. Après une fermeture totale en début d’année de presque trois mois, la Chine a eu beaucoup de mal à redémarrer mais les premiers signaux positifs d’achats envers de grandes marques de luxe ont démarré pendant l’été. Juste à côté, Hong Kong qui est le point de départ pour l’Asie a des problèmes politiques depuis presque une année et le marché est à l’arrêt total ce qui rend cette situation inédite.
Monde Economique : Selon certains analystes, les plus petites marques indépendantes pourraient ne pas se relever. Qu’en pensez-vous ?
Amarildo Pilo : Le secteur horloger va incontestablement être très impacté. Je suis certain que les groupes horlogers vont restructurer en masse et beaucoup de PME, des sous-traitants ou marques indépendantes vont baisser les bras. Les marques familiales comme la nôtre pourront certainement en supporter le coût mais il faudra analyser cette crise au nombre de licenciements qu’il va y avoir et non pas au nombre de faillites.
Par contre, pour ce qui concerne nos produits, PILO & CO GENEVE et DAVID VAN HEIM, j’ai été extrêmement surpris des résultats dans notre boutique de Genève. Étant donné que les suisses n’ont pas bougé pendant l’été, alors même sans les touristes asiatiques, les résultats étaient bons. La clientèle suisse s’est intéressée davantage aux produits locaux et a consommé du Home Made ce qui nous donne de l’espoir.
Monde Economique : Cette période est également propice aux développements de projets et surtout aux changements de modes opératoires. Comment PILO & CO prépare l’après COVID-19 ?
Amarildo Pilo : Nous avons remarqué ces dernières années que le rapport de force a bien changé. Une nouvelle génération qui aime acheter en ligne présente une grande opportunité car elle permet à des petites marques indépendantes comme la nôtre d’avoir plus de visibilité et certainement, plus de chiffre d’affaires dans une période si compliquée.
Dans le cas présent, nous avons donc profité de cette période pour refaire entièrement nos sites Internet. Pour la première fois les deux marques que nous fabriquons peuvent être achetées en ligne. Une livraison immédiate est faite depuis nos ateliers.
Monde Economique : Pour les marques indépendantes telles que PILO & CO, les canaux numériques pourraient-ils vous permettre de lutter contre l’hégémonie des grandes marques dans les boutiques physiques ?
Amarildo Pilo : Je pense personnellement que nous sommes confrontés depuis des années à un changement radical des habitudes d’achats. Pour un produit comme l’horlogerie, je continue à penser que le client doit toucher la montre et l’essayer avant son achat. En tant que petite société avec quand même deux boutiques à Genève, nous croyons dans l’humain, les produits physiques mais, le net va certainement nous aider à promouvoir nos produits.
Nos clients commencent progressivement à acheter en ligne. C’est une excellente occasion pour une petite marque comme la nôtre de poursuivre les relations avec nos clients existants et d’en atteindre de nouveaux.
Depuis quelques mois, PILO & CO est présent aussi sur les plates-formes de e-commerce les plus renommés de Chine.
Le Monde Economique : Banques, fonds d’investissement, FMI, sociétés de consulting affirment que le continent africain est prêt à décoller. Une fenêtre d’opportunité peut-elle s’ouvrir dans cette région ?
Amarildo Pilo : Dans nos boutiques de Genève, une bonne partie de notre clientèle est africaine. Il y a aussi, beaucoup de grandes sociétés chinoises qui sont déjà installées en Afrique depuis plusieurs années.
Pour nous, cela est un message très important et positif car je pense que c’est vraiment le bon moment pour promouvoir nos produits en Afrique.
L’association des horlogers indépendants SIWP que je gère depuis 2015, avait déjà prévu de faire une première exposition en 2020 au Gabon. Malheureusement celui-ci a été annulé pour cause de Covid.
Nous espérons que pour l’année 2021, nous pourrons faire nos premiers pas sur le continent africain.
Monde Economique : Comment les marques horlogères indépendantes suisses peuvent-elles préparer l’avenir ?
Amarildo Pilo : Je me bats depuis des années avec les produits que nous fabriquons ainsi qu’avec l’association des horlogers indépendants SIWP, en représentant au mieux notre industrie et notre savoir-faire.
Nous sommes une des seules marques indépendantes très actives dans la moyenne gamme, celle qui représente la vraie industrie horlogère. L’industrie horlogère vend aujourd’hui de moins en moins de montres mais de plus en plus chères. En perdant les quantités il y a certainement un grand risque que nous perdions notre industrie car ce n’est pas avec des montres très chères que nous allons la maintenir. Il est donc indispensable et urgent aux instances de l’État de protéger ce savoir-faire.
Je crois personnellement à la vraie mécanique, celle qui n’a pas besoin d’une pile pour fonctionner. Cela nous représente nous en tant que suisse et perpétue la tradition que les montres suisses sont faites pour durer et qu’elles se transmettent de génération en génération.
Je conseille personnellement à toutes les marques indépendantes d’être de plus en plus active sur le net et de se réunir avec d’autres PME. L’union fait la force.
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