Interview Professeur Chalandon Médecin Chef du service hématologie aux HUG
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Professeur Chalandon : La recherche en hémato oncologie s’est développée de manière extrêmement importante ces dernières années. Il y a eu des progrès fulgurants dans certains domaines, en particulier, dans des domaines qui nous touchent, pour des leucémies chroniques et aigües avec l’avènement de traitements qui sont plus ciblés et moins grossiers que des chimiothérapies seules.
On a pour preuve la maladie leucémie myéloïde chronique qui est une maladie, comme son nom l’indique, plutôt d’apparition chronique. Les personnes touchées commencent par avoir une grosse rate et vont chez le médecin parce qu’elles sont fatiguées. C’est à ce moment que l’on découvre qu’il y a beaucoup trop de globules blancs dans le sang et les examens complémentaires faits à ce moment là vont confirmer que nous sommes face à une leucémie myéloïde chronique.
Cette leucémie myéloïde chronique est provoquée par une anomalie acquise des chromosomes et on parle en termes barbares d’une translocation entre deux chromosomes. Il y a un bout de chromosome qui va dans un autre, mais seulement dans les cellules de la moelle, pas ailleurs. Cette translocation a été découverte en 1960 à Philadelphie, c’est pour ça qu’on l’appelle chromosome de Philadelphie. Par la suite, on a découvert l’anomalie moléculaire qui est un gène qui s’appelle BCR-ABL. C’est un oncogène, c’est-à-dire un gène qui provoque le cancer et qui va provoquer la leucémie. Ce gène va créer une protéine dérégulée qui va rendre la cellule dans la moelle folle, car elle se divise de manière sans fin.
On a pu trouver l’inhibiteur de ce BCR-ABL qui est un inhibiteur assez spécifique ; il permet de freiner la maladie. La leucémie myéloïde chronique se transforme en phase accélérée au bout de 4 à 5 ans, puis ce que l’on appelle blastique en leucémie aigüe et à ce stade l’on n’arrivait plus à guérir les gens sans faire des allographes. Aujourd’hui, on n’a pas besoin de faire de greffe pour ce type de leucémie, car les médicaments, que l’on doit prendre tous les jours, contrôlent la maladie. Pour certains patients, on arrive même à rendre la maladie invisible. Avec nos méthodes de détection qui sont aussi devenues très sensibles, nous ne voyons plus de trace de la maladie, elle est invisible et le patient est à ce moment là en rémission moléculaire. Moléculaire voulant dire « tout tout tout petit », et si on est assez longtemps en rémission moléculaire, de nouvelles études ont montré que l’on peut se permettre d’arrêter le médicament. On pensait que l’on devrait le prendre à vie, mais il y a un certain nombre de patients, 40% pour l’instant, qui peuvent vivre sans médicament, ce sont tout de même de grands progrès. De plus, nous avons à nouveau découvert des anomalies de chromosomes pour la leucémie myéloïde aigüe qui s’appelle promyélocytaire, cette fois-ci c’est entre le 15 et le 17 qui génère une autre maladie moléculaire. On s’est aperçu que des dérivés de la vitamine A associés avec de petites doses d’arsenic pouvaient rendre la cellule de nouveau normale. Avec ces deux médicaments, plus besoin de chimiothérapie, les patients guérissent ! C’est vraiment une révolution, un changement incroyable du paradigme par rapport à des chimiothérapies qui sont lourdes. Ceci n’est malheureusement possible que pour certains types de ces maladies, pour d’autres, nous sommes encore obligés de faire des chimiothérapies.
Nous avons besoin de progresser pour trouver des traitements plus ciblés et être plus efficace. Nous sommes encore trop grossiers sur certains types de leucémie autres qui nécessitent des traitements lourds et des allographes qui sont aussi des traitements lourds.
Monde Economique : Que fait votre unité aujourd’hui ?
Professeur Chalandon : Notre unité est une unité d’hemato-oncologie. Elle a deux but principaux, prendre en charge les patients qui ont des leucémies aigües et qui doivent être traitées avec des chimiothérapies intensives, que ce soit des chimiothérapies pour leucémies méloïdées aigües, des lymphoblastiques aigües ou des lymphomes de hauts grades qui sont de de différents types d’hémopathies malignes qui nécessitent des traitements lourds et d’autre part, faire des greffes de cellules souches allogéniques puisque notre centre est le centre romand de transplantation allogénique de cellules souches hématopolyétiques. Les patients viennent de toute la Suisse romande pour être transplanté à Genève dans cette unité.
Monde Economique : Sommes-nous tous concernés ?
Professeur Chalandon : Je pense que nous sommes vraiment tous concernés. Avec l’âge, l’incidence des cancers augmente et donc qui dit cancer dit chimiothérapie. Les gens vivent plus longtemps et suite aux chimiothérapies, nous rencontrons des cancers secondaires dont des leucémies. En hématologie, nous avons eu une grande augmentation des patients à traiter et malheureusement, il y aura une personne sur trois qui aura un cancer à un moment ou à un autre dans sa vie dans le futur, donc je pense que oui, nous sommes tous concernés.
Monde Economique : Aujourd’hui, quels sont les vrais besoins de votre unité ?
Professeur Chalandon : Dans notre unité, nous avons des besoins pour les patients et pour leur confort. Heureusement, nous avons d’anciens patients qui nous ont aidés afin d’accroître la qualité de notre service. Ils nous ont aidés à construire des parties d’unités parce que l’hôpital, (l’Etat) n’avait pas les moyens de le faire. Aujourd’hui, nous avons par exemple besoin d’argent pour améliorer les contrôles. Nous avons de nouveaux moyens de contrôles, de monitoring des patients mais nous n’avons pas les budgets. Nous avons donc besoin d’acheter ce genre de moyens. Nous avons augmenté le nombre de lits mais nous avons aussi des besoins en personnel. Nous aurons peut-être des lits supplémentaires l’année prochaine, mais nous n’aurons pas le personnel pour s’occuper des patients, ce qui est regrettable. Il y a des besoins matériels, des besoins en personnel, mais également des besoins pour faire de la recherche. On a actuellement des projets prometteurs que nous aimerions développer. Ce sont des projets de thérapies cellulaires, nous voulons améliorer les post greffes par exemple, la reconstitution immunitaire, car lorsque l’on greffe quelqu’un, son système immunitaire redevient comme celui d’un bébé. Les risques d’avoir des infections sont importants et, pour diminuer ces risques, nous aimerions donner des globules blancs manipulés, mais, pour réaliser ces expériences, il faut avoir de l’argent. Ce sont des projets qui sont énormes et plusieurs centaines de milliers de francs sont nécessaires pour leurs réalisations. Le coût des traitements s’élève pour chaque patient aux environs de CHF 20’000 à CHF 25’000. On comprend qu’avec la trentaine de patient que nous traitons annuellement, nous soyons vite débordés.
Monde Economique : Qui peut être donneur aujourd’hui ?
Professeur Chalandon : Tout le monde peut donner son sang, mais il y a certaines restrictions évidemment qui sont liées aux maladies. Si on est malade ou si on a eu le rhume, on ne peut pas donner son sang pen
dant une semaine ou si on a voyagé dans des pays avec risque de malaria par exemple, ce sera contre-indiqué pendant 6 mois. On a donc besoin de sang, mais également besoin de plaquettes pour tous les patients qui sont soit en chimiothérapie, soit qui ont eu un accident ou une grosse opération et qui doivent être aidés. Il y a ensuite le don de cellules souches et là on retrouve les mêmes personnes qui peuvent donner des cellules souches. Il y a plus de 26’000’000 de donneurs dans le monde, vous et moi pouvons être donneur, pour autant que nous n’ayons pas de maladies qui contre-indiquent le don, c’est-à-dire pas de cancer, de l’asthme sévère ou de maladie cardiaque. Mais, de manière générale, ce sont des jeunes en bonne santé qui donnent des cellules souches. On peut cependant donner la moelle souche du sang périphérique jusqu’à 55 ans et son sang jusqu’à 65 ans
Monde Economique : Quels sont les symptômes de la leucémie ?
Professeur Chalandon : Les symptômes de la leucémie ne sont pas très spécifiques. Comme je l’ai déjà expliqué, le premier symptôme est la fatigue, ensuite, des symptômes liés à l’anémie. Une leucémie, qu’est-ce que c’est ? C’est une faiblesse de la moelle qui est envahie par une cellule qui a dégénéré et qui va étouffer la moelle. La moelle étouffée ne peut plus produire de globules rouges, de globules blancs et de paquettes. Les globules rouges sont importants pour le transport de l’oxygène, pour oxygéner tous les tissus, d’où la fatigue. Le manque de plaquettes va provoquer des bleus, on va se faire un bleu très facilement en se cognant ou on va avoir les gencives qui saignent. Le troisième élément est le manque de globules blancs et avec un manque de défense immunitaire, il y aura des infections. Ce sont là les trois signes, 1, la fatigue, donc l’anémie, on est tout blanc, les conjonctifs sont pâles, 2, des hématomes pour un oui ou un nom ce qui n’est pas normal avec des gencives qui saignent et 3, des infections qui peuvent devenir très sévères et qui amènent les gens à l’hôpital
Monde Economique : Aujourd’hui avec vos responsabilités trouvez-vous un peu de temps pour exercer vos passions telle que la photo ?
Professeur Chalandon : Beaucoup beaucoup moins malheureusement, j’en fais un tout petit peu, car je n’ai plus autant de temps qu’avant. Lorsque j’étais étudiant, j’étais fou de photographie et aujourd’hui encore, J’adore la photo. J’aime bien les magazines tels que le « National Géographique » ou « Geo » qui font des photos fantastiques. Je me souviens que lorsque j’avais 18 ans, j’aillais me promener dans la ville de Genève et pendant les fêtes de Noel avec un ami, nous faisions des photos, nous nous amusions à trouver les angles, les couleurs avec les boules, c’était juste fantastique. J’ai envie de faire redécouvrir cela à mes enfants. Ca reste une passion.
Conclusion
Vous avez abordé les différentes parties qui sont importantes et je crois qu’en faisant cette synthèse, nous exprimons des maladies qui sont difficiles à traiter et pour lesquelles nous avons besoin de gens qui soient vraiment investis. C’est le cas de l’équipe avec la quelle je travaille, que ce soit l’aide soignante, l’infirmière, le médecin, tous les gens qui interviennent sont tous dédiés, dévoués et donnent leur temps sans compter. Leur patient est vraiment au centre de tout. C’est une équipe qui travaille dans la même direction pour aider le patient à s’en sortir. On est à chaque fois touché par les malades et toute l’équipe continue à vouloir obtenir des renseignements sur le patient, même quand il a quitté l’hôpital, tout le monde veut savoir ce qui se passe par la suite. Il y a un lien qui est très très fort dans ces unités parce que l’on vit longtemps avec les patients. Ils sont hospitalisés pendant de longues périodes et les équipes soignantes sont donc très proches des patients. De plus, les patients reviennent, car une seule chimiothérapie n’est souvent pas suffisante pour guérir d’une maladie grave. Il y a donc une liaison, un lien avec les patients et les équipes soignantes qui sont très forts dans ce type de maladie. C’est ce côté aussi qui m’a séduit et m’a fait choisir de m’occuper de patients qui souffrent de telles maladies. On ne peut pas les laisser souffrir et on peut les aider, même si on ne peut pas toujours les guérir, bien que nous ayons un grand potentiel. Souvent on me demande : « mais pourquoi tu fais un métier aussi difficile ?» Je pense qu’on ne doit pas s’arrêter qu’à la tristesse de ce type de maladie qui est grave, mais voir l’espoir qui est derrière, la guérison, le soleil, la réouverture et le potentiel fantastique que l’on peut leur offrir et leur donner. J’ai toujours des patients qui reviennent me voir, des jeunes avec leurs enfants, qui après des greffes revivent normalement, qui ont une famille, qui peuvent danser, aller en vacances, revivre normalement, c’est ça le but.