Les impératifs de performance auxquels sont soumisses les entreprises n’ont jamais été aussi prégnants qu’aujourd’hui. Depuis une vingtaine d’années et la mondialisation des échanges et de l’économie, la pression est de plus en plus forte pour atteindre un niveau d’excellence en termes de qualité, de prix et de délais. Il en va de leur survie de s’adapter de plus en plus rapidement aux marchés, c’est-à-dire aux besoins réels ou supposés du client.
Pour faire face à ces impératifs d’adaptation et de réactivité, nous entendons aujourd’hui beaucoup parler d’agilité dans la structure et le management des entreprises ou dans la conduite de projet. Le Graal serait de rendre le fonctionnement de l’entreprise suffisamment souple pour lui permettre de s’adapter rapidement aux évolutions de son environnement.
Nul doute que cette qualité est un atout indispensable pour la réussite et la pérennité économique d’une société. Supprimer les inerties décisionnelles et les lourdeurs administratives inutiles est un enjeu économique majeur.
Pour autant, il est selon moi légitime de se poser un certain nombre de questions concernant la mise en pratique de cette approche telle qu’on la rencontre fréquemment sur le terrain. En effet, le terme agile engendre souvent une confusion entre adaptabilité et flexibilité, créant des difficultés au lieu de faciliter les processus.
En premier lieu, on peut s’interroger sur la différence entre adaptabilité et flexibilité. Selon la théorie organisationnelle, si l’adaptabilité est la capacité à obtenir la satisfaction de ses besoins, la flexibilité est la capacité à en questionner la pertinence. C’est-à-dire que quoique ces deux qualités soient indispensables à un épanouissement, elles ne se situent pas du tout dans le même plan. Et elles génèrent de nombreux paradoxes.
Entre autres parce que s’il est (assez) simple de se mettre d’accord sur les besoins à satisfaire pour la survie et le développement d’une entreprise et le bien-être des Hommes qui la compose, pour déléguer ensuite la manière de le faire, il est beaucoup plus complexe de réfléchir à la nature et au sens de ses enjeux, sa place et son rôle dans le tout que forme une société, qui plus est mondialisée.
Une des difficultés principales pour concilier ces deux approches étant que la perception des temps est très différente.
Concernant la satisfaction des besoins, la réflexion, pour une entreprise, se situe souvent à court et moyen terme ; quelques heures ou quelques jours pour répondre ou pas à une demande, le temps de deux ou trois bilans comptables pour la plupart des décisions stratégiques et pour certains projets. Et ce temps est encore plus réduit pour un individu, le bien-être professionnel étant un élément qui s’apprécie dans l’instant, ne se conjuguant qu’au présent et ne s’envisageant que dans le futur proche.
En revanche, développer une vision globale des enjeux collectifs, et surtout de l’impact social, sociétal et environnemental d’une organisation n’a de sens que si elle se considère à l’échelle de plusieurs années, voir de quelques décennies, le temps nécessaire pour une mise en perspective et une appréciation des conséquences induites.
L’adaptabilité, telle que décrite ci-dessus, cette capacité pour une organisation à répondre rapidement à l’évolution de son environnement, pour être un élément indispensable à la performance de l’entreprise moderne, n’en est pas pour autant suffisante pour pérenniser ses succès. Le risque d’une perte de sens, voir de cap, est grand si cette adaptabilité ne se conjugue pas avec une disposition à questionner ces évolutions, ainsi que l’existence et le contenu des réponses apportées aux changements.
Or, malheureusement trop souvent, l’agilité, telle qu’elle est présentée, ne prend en compte que l’adaptabilité, éludant dans les faits le travail de réflexion sur la flexibilité et sa mise en œuvre concrète dans les processus décisionnaires. Car si le sens peut (doit!) être co-construit, il est de la responsabilité du leadership d’en être le garant.