Dragon contre éléphant

9 mai 2017

Dragon contre éléphant

Inde et Chine ont connu une rupture à la fin des années 1940 : indépendance d’un côté et régime communiste de l’autre. Jusqu’aux années 1980, les deux géants sont restés endormis. La Chine a ensuite avancé plus vite que l’Inde. Sa réussite est avérée dans plusieurs champs : dans l’économie avec un PNB presque quatre fois plus élevé que l’Inde, dans les échanges commerciaux, dans les budgets de R&D, dans la lutte contre la pauvreté, la malnutrition et les maladies infantiles. La Chine a de plus pris une longueur d’avance au plan des infrastructures.

Quels échanges économiques ?

Jusqu’au début des années 2000, les échanges sino-indiens restent limités (quelques milliards de dollars). Ils sont depuis peu en plein essor et fondés sur la complémentarité : importation par la Chine de matières premières indiennes et exportation de produits manufacturés. Les deux piliers de l’Asie ont su dépasser leurs différends frontaliers et mésententes sur le Pakistan ou le Dalaï-Lama. La relation commerciale est cependant déséquilibrée – le solde est très en faveur de la Chine (de plusieurs dizaines de milliards de dollars).

Les courbes ne montent pas jusqu’au ciel

La croissance à deux chiffres en Chine, c’est fini. Les autorités chinoises vont devoir convaincre leurs administrés qu’un taux de croissance à sept pourcents est tout à fait normal, alors que dans le même temps les travailleurs sont de plus en plus conscients de leurs droits et prêts à les défendre. En 2012, le Parti communiste chinois a promis un doublement du revenu par habitant d’ici à 2020 (ce qui correspond précisément par un taux de croissance de sept pourcents). Alors que la Chine a fondé sa capacité exportatrice sur un faible coût de la main d’œuvre – un avantage qui est progressivement en train de s’éroder – l’ex-Empire du Milieu connaît une concurrence grandissante d’autres pays à bas coûts. L’Inde qui dispose encore d’un large réservoir de main d’œuvre est le compétiteur le plus immédiat. Alors que le vieillissement de la population chinoise induit aussi une augmentation des coûts de santé, la question du financement est encore plus aigüe. Pendant ce temps, le nombre d’actifs augmente en Inde et pourrait même stimuler la croissance indienne si le pays parvient à former ses travailleurs.

Quid des inégalités ?

La Chine maoïste présentait des coefficients de Gini (écarts entre pauvres et riches) entre 0,10 et 0,20. Celui-ci est maintenant à … 0,49. Certes, la hausse n’est pas spécifique à la Chine, elle accompagne souvent la montée des pays émergents. Des pays comme le Brésil ou l’Afrique du sud font pire. Mais ils ne sont pas communistes ; c’est là où le bât blesse. L’Inde a bien son « Club des Milliardaires ». Mais elle présente un coefficient inférieur à 0,40.

Et la corruption ?

D’après l’ONG Transparency International, la Chine obtient des scores peu flatteurs sur l’indice de perception de la corruption (par les milieux d’affaires). Elle est dans une position meilleure que l’Inde, le Mexique ou l’Indonésie ; mais moins bonne que Hong Kong, le Japon ou Taiwan. Les critiques viennent même de l’intérieur de la Chine : un rapport publié en 2011 par la Banque Centrale de Chine avance le chiffre étourdissant de 124 milliards de dollars de contrebande sur une période de dix-huit ans (entre mi-1990 et 2008). Les auteurs de ces sorties illicites de fonds sont des cadres du Parti communiste, de la police, des officiers de justice et des dirigeants d’entreprises publiques.

Qu’en est-il sur le plan technologique ?

Sur de multiples indicateurs, la position technologique de l’Inde est moins flatteuse que la position de la Chine. En comparaison, l’Inde affiche quelques réussites dans l’informatique et la pharmacie – basée pour partie sur l’imitation de formules développées ailleurs qu’en Inde. Une large partie des efforts ont porté sur des innovations dites frugales visant des produits à très bas coût, notamment dans le champ de l’industrie automobile avec l’exemple de la voiture Nano de Tata Motors. Les récents efforts du gouvernement indien pour structurer son système d’innovation permettront peut-être d’aller plus loin. Il faudra convaincre le secteur privé à s’engager davantage dans la R&D et attirer un plus grand nombre d’entreprises étrangères.

Autocratie ou démocratie ?

La Chine, contrairement à l’Inde, est loin d’élections libres et de multipartismes. La République de Chine est populaire ; mais, le peuple n’élit pas ses dirigeants. Il n’existe pas non plus de syndicat indépendant. Les plus hauts dirigeants du pays ne sont pas responsables devant le peuple – mais seulement devant d’autres dirigeants. Comparativement à l’Inde, le système politique autoritaire de la Chine a permis d’aller plus vite dans la réforme vers un libéralisme économique accru. L’Inde souvent citée en exemple comme modèle démocratique n’a pas su jusqu’à présent endiguer la pauvreté d’une large partie de la population et un extraordinaire écart entre les pauvres et une étroite caste de privilégiés.

Dominique Jolly, Professeur à Webster University Geneva.

 

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