Par Dessy Damianova
Sur les littoraux des pays riverains de la Mer Noire, on vit une saison d’été passablement singulière, et c’est le moindre que l’on puisse dire… Concentrant des intérêts géostratégiques différents, devenue l’une des arènes principales de l’affrontement entre Russes et Ukrainiens, la Mer Noire est aujourd’hui aussi houleuse et agitée – au sens politico- symbolique du terme – qu’elle avait été placide et accueillante envers ses visiteurs, dans les années et mois qui précédaient la guerre…
Il serait d’ailleurs presque cynique de parler de saison balnéaire à la Mer Noire à l’heure où les victimes, du côté ukrainien du bassin pontique (de Pont- Euxin, appellation que les Grecs anciens avaient donnée à cette mer et qui signifie Mer Sombre) se chiffrent par centaines et les destructions sont quotidiennes. En effet, cible principale des attaques russes, le littoral ukrainien est, en ce juillet 2022, tout sauf le lieu de reposante villégiature qu’il était encore jusqu’à l’année passée. Coupée de la mer d’Azov (à l’extrême nord- est de la Mer Noire) par la ligne du front, l’Ukraine voit ses bords de la Mer Noire régulièrement attaquer par les forces russes dont les soldats sont les seuls « touristes » sur ses rives. Et c’est tout dire…
Il en va quand même un peu différemment – pour l’instant – des autres côtes du bassin pontique. Un flux non- négligeable d’estivants locaux et étrangers s’y est précipité, dès le début de la saison et, avec la rage de gens ayant vécu au moins deux ans sous le régime du confinement et sous l’ombre de diverses menaces, a envahi les rives bulgare, roumaine, géorgienne et turque du bassin.En apparence, tout est comme avant.Et pourtant non ; c’est beaucoup plus nuancé que cela.
A cause de la guerre, le nombre des touristes occidentaux a baissé en Roumanie et en Bulgarie, et cela malgré les déclarations des ministres du tourisme respectifs rappelant l’appartenance des deux pays à l’UE et à l’OTAN et assurant que des programmes soient mis en place pour surveiller les mines flottantes au large des côtes.
La supposition de mines marines qui, s’étant détachées du port d’Odessa où elles avaient été posées par la défense ukrainienne, flotteraient toujours près des rives roumaines, bulgares et turques, a sérieusement contribué à la réticence d’un bon nombre de touristes occidentaux à choisir ce littoral pour leurs vacances d’été. Apparue encore au début de conflit, la nouvelle des mines s’est amplifiée au cours des mois au point de présenter la Mer Noire comme regorgeant de ces engins dont l’indolent flottement sur la surface ne doit tromper personne et dont le risque d’explosion est bien réel.
Tout un humour noir a, entre-temps, fleuri à ce sujet, sur les côtes de la Mer Noire. A la veille de la saison, on a admis que cet été- là, à la plage, on jouera non pas à la balle mais « à la mine » ! D’autres encore ont vu dans les mines des « bouées », et l’on a cru les apercevoir flotter par milliers. Mais… que faire ?: « à la mer comme à la mer » !
Pourtant, si, à cause de la guerre, l’intérêt occidental pour les rives de la Mer Noire a sensiblement faibli, il reste considérable pour une partie de la région. Concernée à son tour par le problème des mines mais disposant également d’une autre façade maritime, celle qui l’ouvre sur la Méditerranée, la Turquie se félicite d’excellents résultats pour sa saison estivale. Ses chiffres sont d’ailleurs très bons pour l’ensemble de la première moitié de l’année. L’été n’avait pas encore commencé que la Turquie enregistrait déjà 12,7 millions de visiteurs étrangers.
Et la Russie dans tout cela ? Eh bien, le géant belliqueux qui, depuis 2014 et surtout par le biais de la Crimée, a également accès à la Mer Noire, se prend à rêver d’un septembre particulièrement ensoleillé et beau. Avec une indolence étonnante pour un temps de guerre, l’agence TASS évoque la perspective d’une « saison de velours » prolongée, comme il n’y en avait rarement eue ces dernières années – tout cela assorti avec des températures élevées des eaux de la mer « restant propices aux baignades jusqu’à la fin septembre ».
Un septembre en toute beauté, nous sommes nombreux, de tous les pays et des rives de toutes les mers mers, à se le souhaiter – mais pas seulement en termes de douceur de l’eau et bel ensoleillement… En cet été où le monde s’agite comme une mer déchaînée et les bruits de guerre nous cernent de partout, ce que nous pouvons souhaiter le plus vivement, c’est la paix.
Puisse donc la rentrée, déjà pas si lointaine, voie les choses rentrer dans l’ordre et les armes se taire, définitivement… Et que la fin de la saison, ce temps contemplatif et doux, inexprimablement délicieux et « velouté », nous apporte la paix, enfin !
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