e Monde Economique : Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’industrie de l’accueil et du service?
André Mack : Un regard mitigé ! L’industrie que nous appelons « de l’accueil », composées de prestataires de logements, de restauration et d’autres prestations périphériques, telles que le bien-être/la santé, l’événementiel ou l’amusement, réalise qu’elle a manqué certains virages ces dernières années et ne sait pas trop comment s’y prendre pour rattraper son manque d’innovation et d’anticipation, principalement en ce qui concerne la distribution et la réservation en ligne (booking.com, trivago, etc..), ainsi que des nouveaux modèles d’affaires, comme airbnb (eh oui, je suis obligé de les nommer, car à mon avis ils ont fait énormément de bien à cette industrie). Une des réactions possible, sans surprise, conventionnelle, mais peut-être pas durable, est la consolidation.
Prenez Marriott et Starwood qui construisent un Paquebot de 1 million de chambres, 30 marques différentes, qui il faut l’espérer aura une inertie proche de celle du papillon. Une autre stratégie, plus proche du « trial & error » et certainement plus en lien avec les aspirations des générations connectées, est le partenariat, voir l’acquisition d’entreprises non-hôtelières, mais offrant des modèles d’affaires différents, intéressants, novateurs, peut-être disrupteurs ou des services complémentaires de qualité. Accor pousse la réflexion très loin dans ce sens avec l’acquisition de John Paul, leader mondial de la conciergerie ou de Onefinestay, afin de comprendre de quoi en retourne cette nouvelle vague de clientèle type Airbnb et d’être en mesure d’anticiper et de développer des produits attractifs pour des segments de clientèle de plus en plus ciblés.
D’un autre côté l’industrie du service ou des services, ou pour nous, toute industrie qui intègre une fonction de service, se pose également de multiples questions sur sa compétitivité dans un monde où les produits offerts ne se différencient que très peu et où la digitalisation est de plus en plus attendue par une partie montante de la clientèle et qui ne sont pas forcément uniquement cette fameuse génération Y. Comment améliorer la qualité de mon service ? L’expérience de mon client ? La notion de loyauté mérite-t-elle encore les investissements consentis dans le passé ou est-ce une notion dépassée ?Mon regard est donc mitigé, car j’ai l’impression que l’on n’investit pas sur le bon cheval. L’investissement est fait sur des produits, des solutions, des modèles existants. Mais la réponse à toutes ces questions ou la capacité d’une entreprise à devenir plus résiliente à son environnement, se trouvent dans les personnes qui font l’industrie, à tous les niveaux ; du portier qui pourrait avoir envie de se poser la question comment travailler différemment, de manière plus avantageuse pour le client et son entreprise, au CEO qui pourrait accueillir avec enthousiasme les ambitions de ses employés.
Investir sur l’homme de manière forte et durable et investir
sur une culture d’entreprise permettant le développement de l’être humain et de l’entreprenariat sont pour moi les piliers durables sur lesquels cette industrie doit se baser. Les solutions, les idées, l’innovation doivent venir de l’intérieur pour vraiment être porteurs. Cette opinion est valable pour les acteurs importants de l’industrie ; les chaînes, les grandes entreprises, les multinationales.
Une autre facette de l’industrie de l’accueil et du service est la multitude d’acteurs indépendants avec des établissements offrant un nombre limités de chambres, ou des petites chaînes hôtelières, qui se battent tous les jours afin de survivre. En nombre d’établissements, ceux-ci sont majoritaires, en nombre de chambres, ils sont minoritaires.
Comme partout, certains y arrivent très bien et démontrent qu’il n’est pas forcément nécessaire de faire partie d’une chaîne pour se faire connaître, attirer la clientèle recherchée, dégager des moyens financiers suffisant pour soit réinvestir ou attirer des capitaux et se maintenir à un niveau de qualité recherché sur le long terme. Et puis il y a les autres, qui, à mon avis doivent être divisés en deux catégories : les acteurs qui ne méritent pas d’être subventionné par le marché, par manque de professionnalisme, de rigueur, d’enthousiasme, mais qui s’accrochent et prennent des parts de marchés à la deuxième catégorie de ceux qui veulent, qui ont l’enthousiasme, qui désirent secouer le marché et offrir des solutions novatrices à leur échelle.
Le Monde Economique : Lausanne Hospitality Consulting SA (LHC) est la filiale de l’Ecole Hôtelière de Lausanne en charge des services de conseil et de formation de cadres. Quelle valeur ajoutée la LHC peut-elle apporter à ses clients?
André Mack : A travers sa filiation avec l’EHL et son réseau des anciens, LHC a un accès privilégié, à une connaissance approfondie et de première main de l’industrie de l’accueil dans le monde. Nous travaillons en collaboration avec le groupe EHL et les experts. Cette ouverture vers l’international est également défendue par l’équipe LHC, que ce soit en Suisse, en Indes ou en Chine, où se trouvent nos bureaux. Les employés LHC proviennent de 14 pays sur 4 continents, ont vécu et travaillé dans plus de 60 pays, à des postes allant de l’entrepreneur, à des fonctions « corporate » en charge de régions, couvrant entre autre l’hôtellerie, la restauration (collective), des clubs d’affaires, de vacances, le conseil, la formation. Ils sont donc en mesure d’intégrer dans leur analyse et recommandations une multitude de paramètres, de facettes, de cultures du métier, amenant souvent des solutions originales, créatives, tout en mettant le client au milieu de nos réflexions : notre client ou le client final.
En terme de produits, nous avons la possibilité d’offrir à nos clients un accompagnement et des solutions sur le très long terme, étant donné que nous pouvons aider à la réalisation d’une idée, à travers nos prestations de conseil, recruter et développer/former les personnes clés qui feront vivre la solution, puis, si la solution prend de l’envergure, nous pouvons également mettre sur pieds une solution de formation plus durable, tel qu’un centre formation technique, une école hôtelière ou une université des métiers de l’accueil. Finalement, nous pouvons certifier des personnes, en reconnaissant leurs compétences, ou des programmes de formation.
Le Monde Economique : Etant une filiale d’une école hôtelière, les prestations de la LHC s’adressent-elles seulement aux professionnels du secteur hôtelier?
André Mack : Non, loin de là. Comme mentionné pr
écédemment, nous considérons que l’industrie des services intègre également l’ensemble des entreprises qui ont une fonction de service. Nous offrons dès lors nos prestations non seulement à l’hôtellerie et la restauration, mais également aux banques, aux assurances, au monde de la construction, aux multinationales, au monde du conseil, de la formation, ainsi qu’aux gouvernements, aux associations. En d’autres termes toute entité intéressée à faire la différence à travers sa culture du service et ses ressources humaines, dans le monde.
Le Monde Economique : La manière dont un client est reçu a un impact déterminant sur l’image de toute entreprise et, par induction, sur sa notoriété et même sur son attractivité. Quels sont les erreurs à éviter?
André Mack : Le mot « reçu » est souvent perçu de manière limitative ; il suffit de sourire, dire bonjour et être aimable avec une personne pour que la satisfaction du travail bien fait existe. La notion d’accueil va bien au-delà : elle regroupe non seulement les compétences professionnelles et personnelles de la personne qui accueille, mais également la représentation visuelle, écrite et verbale donnée par l’entreprise avant, pendant et après l’interaction. Il ne s’agit pas uniquement de l’aspect de communication et de marketing, mais également de la réputation de l’entreprise, de sa manière de gérer sa présence sur la toile ou non, de ses infrastructures, de la cohérence entre la manière avec laquelle elle se présente, avec ses valeurs et le métier qu’elle représente.
J’ai été dernièrement rendre visite à une grande entreprise suisse, qui représente des valeurs de sérieux, de rigueur, d’excellence dans son métier et qui a intégré dans ses procédures une zone d’accueil pour ses visiteurs. Jusque-là cohérent. Par contre je me suis retrouvé assis entouré de plantes artificielles. En bon français, c’est « cheap ». Est-ce que j’ai envie de faire affaires avec des personnes qui me considèrent aussi peu ? Le message n’est pas cohérent et laisse un goût amer.
Le monde de l’accueil est le monde du détail, de l’écoute et de la lecture de l’autre. Ceci requière du temps, de la sensibilité, de l’empathie, notions, qui à priori ne rapportent pas d’argent, donc sont peu considérées. Mais écouter vraiment avant d’agir peu vous permettre de gagner beaucoup de temps et d’efficacité dans la manière de traiter une demande d’un client. La tendance est malheureusement de dérouler la procédure standard apprise, inculquée, forcée et qui permet d’évaluer un employé, alors que peut-être 10% de cette procédure concerne ce client précis. Les 90% restant pourraient être utilisés à générer la notion de recommandation, de loyauté, sans que cela coûte quoi que ce soit à l’entreprise. Cela requière par contre le développement d’autres compétences que celles professionnelles et ces compétences-là, pourraient permettre à un collaborateur d’avoir des ambitions légitimes à l’intérieur de l’entreprise et d’amener une valeur bien supérieure à l’entreprise qu’à travers les compétences techniques pour lesquelles il a été recruté. Ceci ne semble pas vraiment être voulu.
Le Monde Economique : Quels sont les défis auxquels l’industrie de l’accueil et du service fera-t-elle face demain?
André Mack : Premièrement les défis liés aux personnes. Il y a de moins en moins de personnes qualifiées, formées pour une industrie qui grandit, se diversifie, devient plus complexe à bien des égards, veut faire la différence à travers la qualité de ses services. L’industrie de l’accueil devra rester ou devenir attractive pour les nouvelles générations et donc offrir des modèles d’affaires innovants, des opportunités de carrière originales avec des partenariats par exemple, sinon elle risque d’attirer des personnes qui choisiront ce métier uniquement par nécessité et non par choix.
Le défi de la technologie continuera de nourrir les discussions aux plus hauts niveaux. La technologie est chère, devient rapidement caduque, les attentes des clients évoluent, leur accès et leur connaissance de la technologie est souvent plus pointue que la nôtre. Devons-nous courir après au risque de brûler notre cash ou nous disqualifier ?
Le défis de la diversité des produits offerts pour des segments plus précis et donc plus petits. Des nouveaux acteurs, provenant des grands groupes hôteliers, viennent sur le marché, avec de nouveaux concepts, une compréhension approfondie du marché, un soutien de groupements financiers et déstabilisent les « petits » acteurs.
Et pour finir, peut-être le plus important d’entre tous, le défis de se faire supplanter par des acteurs qui ne viennent pas de cette industrie, mais qui ont des moyens financiers, un pouvoir de conviction, un langage et une notoriété bien supérieurs à ce que l’industrie de l’accueil ne pourra jamais rêver d’acquérir : à quand des Google/Apple/Alibaba/Microsoft/Ebay/Amazon Hotels ?
Mr. André Mack – Directeur General de la Lausanne Hospitality Consulting