Analyse des résultats d’une enquête.
Pour une deuxième année consécutive, la société suédoise Universum qui réunit des experts de la « marque de l’employeur » (employer branding), a mené son enquête sur l‘Index Global du Bonheur de la main d’oeuvre et publié récemment ses résultats. Il en ressort que les plus heureux au travail sont les Scandinaves, avec les Danois en tête de classement, les Norvégiens en seconde place et les Suédois en quatrième. S’intercalant entre la Norvège et la Suède pour occuper la prestigieuse troisième position, un pays latino- américain, le Costa Rica, empêche le sommet du bonheur au travail d’être entièrement européen et plus spécifiquement – nordique.
L’enquête menée auprès de 200 000 jeunes employés de 57 pays du monde s’articulait autour de trois questions principales identifiées comme autant de critères déterminant le bonheur au travail : Etes-vous satisfait de votre travail ? Etes- vous enclin à recommander votre employeur et votre entreprise à des chercheurs d’emploi ? Avez-vous l’intention de quitter votre job d’ici 2 à 4 ans ?
On retrouve la Suisse sur la très honorable 12-ème position, qui n’est tout de même pas sans surprendre, étant donné que, côté « bonheur », dans différents « happiness reports » (le « pays où l’on vit le plus heureux », « les villes où l’on vit etc… ») l’Helvétie figure presque toujours sur le podium, voire en première position. Ici, en revanche, elle est classée seulement douzième. Il y aurait-il alors un décalage, en Suisse, entre « vivre heureux » et « travailler heureux », le premier étant beaucoup plus crédité dans les sondages que le second ? En tous cas, dans le classement en question, notre pays se trouve sérieusement devancé non seulement par cette « Suisse de l’Amérique centrale » qu’est le Costa Rica mais aussi par des pays de l’ex -bloc communiste, jusqu’hier encore plutôt problématiques sur le plan économique, tels que la Hongrie et la Tchéquie. En revanche, pour le Danemark et la Norvège, les champions du classement du Bonheur de la main d’œuvre‘2016, on ne remarque pas de décalage entre « vie heureuse » et « travail heureux », ces pays étant en tête de liste dans l’une comme dans l’autre enquête « de bonheur ».
Analysant le tableau du classement, on se rend compte que jusqu’à sa 16-ème place, il est presque entièrement européen. Le pays asiatique le mieux classé, le Singapour, vient seulement en 17- ème position tandis que l’Afrique du Sud, la seule, ensemble avec le Nigéria et le Gana (classée dernière) à représenter le continent noir, figure à la 35-ème place de la liste du bonheur de la main d’oeuvre. Mais comment définir le bonheur au travail ? Et comment s’expliquer que des pays comme la Hongrie et la Tchéquie puissent devancer la Suisse tandis que la Bulgarie et la Roumanie, les cancres de l’Union Européenne en matière économique, se placent devant la France, la Grande- Bretagne et l’Italie ?
On ne saurait en effet expliquer le bonheur au travail des employés de l’Europe Centrale et de l’Est autrement que par une culture de travail faite à la fois d’éléments occidentaux (appartenance à l’Union Européenne oblige !) et de composantes traditionnelles et locales. Les rigueurs d’une discipline à l’«occidentale », indispensable au fonctionnement efficace des entreprises, ont certes pu s’imposer dans les pays ex- communistes mais les manifestations abusives de ces rigueurs y restent relativement rares. En effet, la tentation d’une trop grande pression exercée sur les employés, la menace de dégradation du climat du travail, le risque de déshumanisation, sont contrecarrés, sur le sol est-européen, par des mécanismes intérieurs, qui empêchent dans un grand degré les excès. En effet, étrangère aux pratiques sur place, la stratégie consistant à exercer une forte pression sur les subordonnés en vue d’en obtenir une plus grande productivité, est plutôt rarement adoptée. D’autre part, la culture relationnelle sur les Balkans est telle qu’elle favorise une plus grande familiarité entre les collaborateurs et même entre les différents niveaux hiérarchiques. Cela peut avoir ses effets négatifs mais au moins contribue à conjurer le risque de déshumanisation des rapports.
Et quelle est la recette du « bonheur » de ce pays, qui situé à l’autre bout du monde, bien loin des pays européens occupant les places les plus élevées dans le classement susmentionné, s’y hisse pourtant à la troisième position ? Eh bien, le bonheur au travail dans un pays comme le Costa Rica participe d’un contexte plus global, généralement très favorable, caractérisé à la fois par la stabilité politique et la croissance économique. Mais il y a aussi autre chose : le travail dans la « Suisse de l’Amérique centrale » est élevé au rang de valeur fondamentale, voire de valeur nationale. La prospérité et toutes les acquisitions dont joui aujourd’hui le Costa Rica – et jusqu’à ce bonheur de la main d’œuvre dont nous parlons ici – est finalement une belle récompense pour un pays qui a comme devise « Que vivent à jamais le travail et la paix ! ».