La question de la libre-circulation des personnes revient dans les débats européens depuis environ une décennie. Celle-ci fait apparaître un malaise : au moment où les modèles politiques européens sont malmenés et ne savent plus comment se réinventer, les partisans de la droite nationale secouent l’inaltérable épouvantail : les flux migratoires.
Le contexte économique actuel semble aller à l’encontre d’une libre-circulation des personnes. En temps de crise, les travailleurs peuvent regarder d’un mauvais oeil la venue sur leur sol de travailleurs étrangers, suspectés de créer du dumping salarial tout en capturant les emplois…
Pourtant, jamais les Indignés d’Espagne, de Grèce ou d’Italie n’ont évoqué, comme explication à la crise économique qui touche leur pays, le problème des travailleurs étrangers. Tous au contraire ont questionné les marchés financiers. En Suisse que peuvent reprocher les travailleurs locaux aux travailleurs étrangers ?
Difficultés pour digérer Schengen
La libre-circulation des personnes induit que toute discrimination fondée sur la nationalité est proscrite. Les bénéficiaires ont donc les mêmes droits du travail que les locaux.
Au Danemark dernièrement, les contrôles aux frontières ont été intensifiés pour prévenir une criminalité soi-disant alarmante. Mais il s’agit bien de constituer, de manière détournée, un rempart contre une Europe accusée de drainer en même temps travailleurs étrangers, chômage et criminalité. La Commission européenne s’en est inquiétée. C’est la première fois depuis l’adhésion à l’espace Schengen qu’un pays européen décide de réinstaurer des contrôles douaniers sévères à ses frontières. Cet exemple de recroquevillement n’est sans doute pas le dernier.
Ici aussi, la libre circulation effraye les supporters d’une nation souveraine et indépendante vis-à-vis des voisins européens. Le spectre d’une augmentation du taux de chômage, pourtant l’un des plus faibles d’Europe, pourrait constituer un argument recevable. Mais les partis nationaux souhaitent souvent limiter l’apport de travailleurs étrangers sous un prétexte économique fallacieux. En réalité c’est la préservation d’un bien-vivre national qui la préoccupe.
Car les chiffres de l’économie helvète le démontrent chaque année. Le pays s’est toujours appuyée sur les travailleurs allemands, portugais, italiens ou français pour faire vivre son économie. Personne n’oserait contester les bienfaits de ces apports. Au cœur de l’Europe, la Suisse est le dernier pays à avoir validé Schengen, en 2008. Depuis s’en porte-t-elle plus mal ?
Une croissance régulière à presque 1%
Parvenant à s’en nourrir, l’économie helvète jouit de la plus grande compétitivité du continent grâce à une main d’œuvre diversifiée. En 2009, 60% des nouveaux arrivants étaient bénéficiaires d’un diplôme de formation supérieure…
A l’heure où la pénurie de main d’œuvre touche de très nombreux secteurs (hôpitaux, horlogerie, chimie, banques, apprentissages divers, technologies de pointe, bâtiment), les entreprises suisses ne savent plus où recruter, et se tournent naturellement vers des travailleurs formés et disponibles, venant de l’extérieur. Le géant de l’intérim et du recrutement Manpower consacre ainsi la majorité de ses embauches à du personnel qualifié provenant de l’étranger.
La difficulté est de maintenir une grande attractivité tout en conservant un œil sur les salaires. En effet, avec la main d’œuvre étrangère les patrons sont suspectés de faire du dumping. 38% des entreprises suisses contrôlées en 2010 payaient ainsi un salaire inférieur au minimum légal. Et dans les faits, cela arrive effectivement, notamment en ville de Genève. Les partis de la droite traditionnelle devraient prendre le problème à bras le corps, y consacrer tous leurs efforts.
Qui n’a jamais lu, sur les forums de discussions, l’illégitime frustration qui conduit à assimiler le travailleur français à un « Dupont bleu blanc rouge », dont la venue semble provoquer à elle seule l’ensemble des problèmes de dumping salarial et la hausse de la criminalité ?
Au lieu d’observer toujours les mêmes causes et les mêmes coupables, peut-être vaut-il mieux exiger que le monde du travail soit enfin celui de l’éthique et du respect ?
Faustin Rollinat/Rédacteur chez Le Monde Economique