Par Eugenie Rousak
Dans une société qui valorise de plus en plus les besoins de chacun en matière de flexibilité, d’équilibre entre les différentes sphères de la vie et d’adaptabilité, de nouveaux modèles sociétaux et mentaux se créent. Suivant cette tendance, l’enseignement est également en pleine mutation, évoluant vers une pratique éducative de collaboration et d’échange bienveillant au sein de la salle de classe. Cet ensemble de nouveaux codes se fonde sur la mise en place d’un système de cocréation.
Si l’instruction était initialement assurée par l’Église, au XIXe siècle, elle devient en Europe une affaire d’État. Progressivement, les pays s’orientent vers une école laïque et obligatoire, comme le stipule la Constitution fédérale de 1874 en Suisse. À cette époque, le professeur ou le maître a une place honorifique dans la société : il fait partie de l’élite intellectuelle et il est une référence de connaissance dans sa sphère d’influence. Une hiérarchie marquée est alors établie dans les salles de cours, la docilité des élèves et leur capacité à suivre les règles étant la véritable clé de la réussite. En 1938, le penseur anticonformiste Gaston Bachelard remarquait déjà : « Au cours d’une carrière déjà longue et diverse, je n’ai jamais vu un éducateur changer de méthode d’éducation. Un éducateur n’a pas le sens de l’échec précisément parce qu’il se croit un maître. Qui enseigne commande. »
Depuis cette époque, les pratiques éducatives n’ont cessé d’évoluer, parallèlement à la transformation de la société. L’objectif de l’enseignement ne se focalise plus uniquement sur une transmission de connaissances théoriques et pointues, mais également sur le développement des compétences personnelles telles que l’imagination, l’esprit critique, l’analyse de la situation, l’adaptabilité à de nouveaux contextes ou encore la curiosité intellectuelle. Dans ce sens, le principe de cocréativité dispose l’enseignant et ses élèves différemment sur l’échiquier de l’organisation interne. Si le professeur a évidemment pour rôle d’être le garant du programme pédagogique à suivre, il doit également laisser la responsabilité aux élèves de se laisser porter par leurs intérêts et par les problématiques du moment. Ainsi, les écoliers se sentent plus impliqués dans le déroulement concret des cours et développent une capacité d’influence et de réflexion sur les sujets qui les intéressent. De plus, en débattant de ces thématiques ensemble ou en développant leurs idées individuellement, ils apprennent à travailler aussi bien en collaboration qu’en autonomie, et ces « soft skills » les accompagneront tout au long de leur vie d’adulte.
Si le harcèlement et la culture de la peur dans les établissements sont fortement dénoncés au XXIe siècle, ces situations sont bien réelles et peuvent rapidement devenir ingérables, aussi bien pour les élèves que pour leurs familles et le corps enseignant. Pour anticiper ce type de situation ou rétablir rapidement un bon climat scolaire, des programmes comme KiVa proposent justement une aide professionnelle dont les piliers sont la prévention, l’intervention et la veille. Un environnement fondé sur la bienveillance et le respect de chacun est fondamental pour le bien-être et la créativité des élèves, leur ouverture sur les autres et le monde en général. Outre ce cadre propice, l’écolier doit se sentir en confiance aussi bien avec le professeur qu’avec ses camarades, afin de pouvoir librement sortir de sa « zone de proche développement » (ZPD), notion développée par Lev Vygotsky. La ZPD est une étape d’apprentissage située entre la zone de confort, caractérisée par les notions acquises, et une zone complètement inatteignable, même avec l’aide d’autrui. Autrement dit, c’est une zone qui est suffisamment accessible pour pouvoir être atteinte avec une mobilisation des ressources internes et externes, mais sans pour autant être trop simple, afin que, une fois la tâche réussie, l’élève puisse ressentir la satisfaction d’un défi relevé. Pour accéder à cette étape de développement, l’élève doit comprendre que cette initiative sera félicitée non seulement en cas de réussite, mais aussi et surtout, en cas d’échec.
Si l’échec est perçu comme un signe d’audace et considéré comme nécessaire à la réussite outre-Atlantique, sur le vieux continent, il est encore fortement stigmatisé. Directement rattaché à la personne qui échoue et non au projet qui n’a pas pu être réalisé, l’échec est redouté, masqué et méprisé. Ainsi, même si elle est propice à l’innovation et à la différenciation, la culture de l’échec peine à rentrer dans les mœurs de l’éducation européenne, les règles strictes laissant peu de place à la liberté de se tromper. Pourtant, les erreurs sont des étapes d’apprentissage tout aussi fondamentales que les réussites, dans la mesure où elles permettent de développer une approche réflexive sur ses essais infructueux, afin de prendre des décisions différentes quand une autre situation semblable se présentera. La peur de l’échec ou du jugement de l’échec pousse les élèves à éviter les défis et les difficultés ainsi qu’à abandonner progressivement la prise d’initiative et de position au fur et à mesure qu’ils mûrissent. Un exemple concret est l’apprentissage des langues, qui demande justement aux élèves de passer par ces étapes de tentatives multiples avant de comprendre la grammaire, d’accumuler le vocabulaire et surtout d’avoir la bonne prononciation. C’est sûrement cette dernière compétence qui constitue le plus grand défi, car apprendre à bien prononcer consiste à sortir de la théorie pour interagir avec l’environnement direct, source de stress ou de potentielle peur du jugement. Ainsi, seul un climat valorisant la tentative – même infructueuse, avec une correction constructive de l’erreur éventuelle – permet aux écoliers de rester ouverts et conscients de l’importance d’essayer. Baigner dans un environnement multiculturel et multilinguistique au quotidien permet justement aux élèves de développer la résilience et l’adaptabilité, tout en évitant de limiter leurs capacités de création par une peur de l’échec.
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