Par Olivier de Berranger, CIO, La Financière de l’Echiquier
Le 28 novembre dernier, le Conseil européen a validé une directive qui n’a certes pas fait la Une de l’actualité, mais qui provoquera à terme des mutations profondes de la finance européenne – voire mondiale, indirectement : cette directive, appelée Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), oblige les entreprises à publier en détail leurs données en matière de durabilité. Par-là, il faut comprendre la mise à disposition de leurs données d’impact sur un grand nombre d’aspects Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). A terme, toutes les entreprises européennes cotées de plus de 250 salariés devront s’y soumettre. Et de façon plus ambitieuse encore, sous certaines conditions la directive concernera également les entreprises non européennes exerçant leur activité sur son territoire.
Si les détails de la méthodologie restent à préciser, cet acte juridique marque un jalon historique : les entreprises seront désormais mises devant leurs responsabilités en matière de durabilité, de façon publique.
Il était temps, pourrait-on dire. Depuis le sommet de Rio de 1992 notamment, le concept de durabilité s’impose dans l’espace public, mais une traduction concrète, normative et généralisée en finance restait encore à fixer. C’est donc chose faite. Et bien faite, car le sujet est approché de façon complète – et certes complexe –, sous l’angle de la « double matérialité ». L’expression se réfère non seulement à l’impact de l’environnement et de la société sur l’activité des entreprises, appelée « matérialité financière » dans une vision centrée sur le risque affectant les entreprises ; mais également à l’impact des entreprises sur l’environnement et la société, donc à leur responsabilité vis-à-vis d’aspects non purement économiques de l’existence. C’est peut-être là le point le plus original de cette réglementation : acter l’interdépendance entre les dimensions ESG et les entreprises, et pas seulement le risque auquel l’environnement les soumet.
Dans ce cadre, si la question du climat est déjà bien avancée, un autre champ de préoccupation devrait connaître des avancées significatives dans le futur proche : celui de la biodiversité. A l’heure en effet où se tient la quinzième conférence mondiale sur le sujet – alors que le climat en est déjà à sa 27e session, signe que le sujet est certes en retard, mais progresse – il apparaît de façon de plus en plus manifeste à quel point non seulement les entreprises impactent la biodiversité mais aussi à quel point la réciproque est vraie. Un exemple parmi les plus tangibles est le coût estimé à plus de 200 milliards par an dû à la diminution du nombre d’insectes pollinisateurs qui résulte des pressions humaines sur l’environnement[1]. Plus largement, selon le WWF, le rythme actuel de disparition de la biodiversité pourrait coûter près de 500 milliards de dollars par an aux économies. Vu sous un autre angle, plus positif, l’apport à l’économie des systèmes écologiques – appelé les services écosystémiques –représenterait, selon les premières estimations du monde académique, l’équivalent chaque année du double du PIB mondial ! Une source de valeur ajoutée immense – autant que de risques en cas de dégradation.
Il a fallu quelques décennies pour que la durabilité et la double matérialité gagnent un statut juridique en finance européenne. On peut certes regretter le délai, mais aussi se réjouir d’y être parvenu. Une nouvelle phase s’ouvre ainsi, plus complexe certes, mais plus riche, où la finance pourrait être mieux intégrée au reste du vivant. Les rendements financiers pourraient en être affectés, peut-être négativement dans un premier temps, mais de façon positive en principe à plus long terme. Moindres peut-être, mais plus durables. Le jeu – de la vie – n’en vaut-il pas la chandelle ?
[1] Adam J Vanbergen, Frontiers in Ecology and the Environment, “Threats to an ecosystem service: pressures on pollinators”, juin 2013
Rédaction achevée le 12.12.2022
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