Depuis plusieurs années, les accords de libre-échange entre le Maroc d’une part, et le Royaume-Uni et l’Europe d’autre part, font l’objet d’âpres querelles judiciaires. Ils sont régulièrement attaqués en justice par des groupes activistes dénonçant les importations du Sahara occidental, ce territoire disputé au Maroc par les indépendantistes du Front Polisario. Au Royaume-Uni, où la justice était appelée à se prononcer sur la légalité de l’accord commercial avec le Maroc, le chapitre judiciaire est définitivement clos.
Tandis qu’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne est attendue dans les prochains mois, la justice britannique a pour sa part déjà tranché. La décision de la Cour d’appel de Londres était attendue de pied ferme, à la fois par les autorités britanniques et par la partie plaignante, emmenée par l’ONG Western Sahara Campaign UK. Le 25 mai dernier, l’affaire s’est conclue par le rejet de l’appel déposé par l’ONG, sans possibilité de nouveau recours. Cette décision de justice vient clore un long processus qui permettra la poursuite des accords commerciaux entre Royaume-Uni et le Maroc, Sahara occidental compris.
En 2000, l’accord euro-méditerranéen d’association signé entre l’Union européenne (UE) et le Maroc a permis, 13 ans plus tard, de lancer des négociations en vue d’une zone de libre-échange approfondi entre l’UE – y compris le Royaume-Uni à l’époque – et le royaume chérifien. Ce type d’accord commercial couvre alors de nombreux secteurs économiques, de et vers les pays européens. Dont la pêche. En 2015, les relations commerciales sont à leur apogée : selon les chiffres des douanes marocaines, le commerce avec l’Union européenne représente alors 64,2% des importations et 68,7% des exportations du royaume. Cette même année, l’ONG britannique Western Sahara Campaign UK (WSCUK) dépose une plainte auprès de la justice pour dénoncer cet accord qui inclut les productions agricoles et halieutiques issues du territoire non-autonome du Sahara occidental.
Depuis, la politique européenne a connu quelques soubresauts. À commencer par le Brexit, voté en 2016 et devenu effectif début 2020. Pendant trois ans, le gouvernement britannique a dû renégocier, seul, tous ses partenariats commerciaux avec les pays des cinq continents. En octobre 2019, Londres et Rabat signent donc un accord d’association (UKMAA) – similaire en tout point à l’accord européen – pour poursuivre la collaboration entre les deux pays. Avec l’entrée en vigueur du Brexit au 1er janvier 2020, le Royaume-Uni a donc dissocié son sort de l’Union européenne. Ses liens économiques avec le Maroc sont restés les mêmes, mais les procédures judiciaires sont désormais distinctes.
La plainte déposée par le WSCUK en 2015 avait donné lieu à un premier jugement en 2016, provoquant l’annulation provisoire de l’accord de pêche entre l’UE et le Maroc, en attendant que la justice européenne statue sur ce cas. En cause : les eaux poissonneuses au large des côtes du Sahara occidental.
En 2021, le WSCUK déposait une nouvelle plainte devant la justice britannique pour dénoncer cette fois-ci l’accord d’association post-Brexit signé entre le Maroc et le Royaume-Uni. Lors de son jugement en première instance, en décembre 2022, la juge Sara Cockerill avait rejeté en bloc les arguments du WSCUK selon lesquels « les produits originaires du Sahara Occidental ne devraient bénéficier de tarifs préférentiels que s’ils ont été produits avec le consentement du peuple du Sahara Occidental ». Une décision qui vient donc d’être définitivement confirmée en appel par la juge Ingrid Simler.
À Bruxelles, la Commission et le Conseil de l’Europe ont évidemment suivi de près le dossier britannique. Car l’Union européenne n’a quant à elle pas encore statué définitivement le dossier de l’accord commercial avec le Maroc. En cause là aussi : la pêche et les produits agricoles issus du territoire contesté par le Polisario. Les 27 États membres sont actuellement dans l’attente du jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En septembre 2021, le tribunal de l’UE avait annulé deux accords entre l’UE et le Maroc, suivant la requête du Front Polisario concernant les produits issus du Sahara occidental. L’arrêt du tribunal précisait alors que, « dans la mesure où les accords litigieux s’appliquent explicitement au Sahara occidental ainsi que, en ce qui concerne le second de ces accords, aux eaux adjacentes à celui-ci, ils affectent le peuple de ce territoire et impliquaient de recueillir son consentement ». En novembre de la même année, l’Union européenne a fait appel, suspendant cette première décision. Le jugement en seconde instance sur la « légalité » de l’accord UE-Maroc est attendu d’ici la fin de l’année 2023. D’où l’intérêt des Européens pour la procédure qui vient de connaître son épilogue outre-Manche.
Que dit exactement la justice britannique dans ce dossier ? Dans sa décision finale, la juge Simler a d’abord considéré que la juge Cockerill, en première instance, avait respecté en tout point la procédure britannique, adoptant une « approche orthodoxe » qui stipule que « le principe constitutionnel interdit aux tribunaux anglais d’interpréter un traité international sauf lorsque le Parlement les y invite ». Selon elle, l’accord commercial UKMAA ne présente « aucune ambiguïté » et ne recèle aucune « erreur alléguée concernant l’approche appropriée en vertu de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités ». Il peut donc continuer de s’appliquer, l’interprétation faite par le WSCUK n’ayant « aucun sens ».
Sur le fond, la justice britannique considère qu’il n’est pas de sa compétence de juger le bien-fondé du désaccord politique présenté par le WSCUK sur le statut du Sahara occidental, considéré comme un territoire non-autonome par l’ONU depuis 1963. « L’argument de WSCUK est fondamentalement étayé par l’affirmation selon laquelle la présence du Maroc au Sahara occidental et son exercice des contrôles douaniers dans ce pays sont illégaux au regard du droit international. Répondre à cet argument impliquerait de déterminer la légalité des actes d’un gouvernement étranger dans la conduite des affaires étrangères », explique le jugement du 25 mai qui considère en outre que la contestation du WSCUK n’est pas « raisonnablement défendable ».
« Cette décision ne peut plus faire l’objet d’un appel et supprime donc, de manière absolue, la menace juridique pesant sur les flux commerciaux entre le Royaume-Uni et le Maroc », a réagi dans la foulée la CGEM, l’organisation patronale marocaine.
Reprenant les conclusions de sa consœur, la juge Simler précise également que « l’UKMAA ne viole pas l’élément central de l’autodétermination ni le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles qui en découle. Elle n’a aucun effet sur le contrôle ni même sur l’utilisation des ressources naturelles ». La justice britannique considère donc que ce n’est pas à elle de statuer politiquement sur la question du Sahara occidental et du droit international.
Dans ce dossier, le Royaume-Uni et l’Union européenne sont depuis longtemps sur la même ligne politique : l’un et l’autre répètent leur soutien aux efforts de Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, pour trouver une issue diplomatique concernant le statut du Sahara occidental, disputé par le Front Polisario. Dans cette optique, seule une résolution politique pourrait donc valider – ou invalider – les accords commerciaux existants.
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