La voie étroite du ralentissement en douceur 

7 juin 2023

La voie étroite du ralentissement en douceur 

L’inflation demeure la variable centrale du scénario macroéconomique

Par « The Globe » Eurizon

L’inflexion de la trajectoire des prix est évidente : l’inflation ressortait à 10,6 % dans la zone euro en octobre et s’établit aujourd’hui à 7,0 % ; elle atteignait 9,1 % aux États-Unis en juin 2022 et est ressortie à 4,9 % en avril (dernier chiffre disponible). Pour autant, le processus de normalisation ne saurait être considéré comme achevé, car le niveau reste nettement supérieur au chiffre de 2 % jugé idéal par les Banques Centrales, et le recul est presque exclusivement dû à la baisse des prix des matières premières, tandis que les composantes sous-jacentes restent sous pression. 

Le scénario le plus probable est que la modération des prix à la source, l’énergie en particulier, va progressivement ralentir les autres composantes, mais le processus de désinflation demande du temps, d’autant que l’activité économique est encore en expansion, ce qui permet aux secteurs ayant subi des hausses de prix au cours de l’année écoulée de continuer à les répercuter en aval. 

Il est surtout rassurant de noter que l’inflation à la source, celle des matières premières, s’est tarie depuis quelques mois. Ce dont attestent le prix du pétrole, qui évolue entre 70 et 80 dollars depuis plusieurs mois, et le prix du gaz naturel qui est bas et continue de chuter. 

Heureusement, ou malheureusement, la croissance économique résiste remarquablement bien au vigoureux resserrement des politiques monétaires engagé l’an dernier. 

« Heureusement » car nul ne souhaite une récession. « Malheureusement » parce qu’avec un ralentissement un peu plus marqué de l’activité économique, la flambée des prix serait finie depuis longtemps, avec toutes les conséquences bénéfiques sur la politique des Banques Centrales. Ainsi, la voie du ralentissement en douceur (atterrissage en douceur) est étroite entre une économie en surchauffe d’un côté et le risque de récession (atterrissage brutal) de l’autre. 

Les données publiées ces derniers mois suggèrent cependant qu’un atterrissage en douceur est possible. Pour les États-Unis comme pour la zone euro, les prévisions de croissance pour 2023, tombées à zéro à la fin de 2022, ont été systématiquement revues à la hausse depuis le début de l’année. 

Entre atterrissage en douceur et atterrissage brutal, la question ne devrait pas être tranchée avant un certain temps. Après les turbulences bancaires de la mi-mars, la restriction du crédit s’ajoute à la restriction monétaire aux États-Unis, tandis qu’en zone euro, la BCE n’est pas encore arrivée au terme de son action. Dans ce contexte, le risque d’un ralentissement brutal n’est pas écarté des prévisions, mais seulement repoussé jusqu’à ce que les Banques Centrales déclarent que le combat contre l’inflation est gagné. 

Les anticipations de politique monétaire reflètent cet environnement encore mal défini. Les Banques Centrales considèrent que la lutte contre l’inflation est en bonne voie, mais pas achevée. 

Outre-Atlantique, alors que les taux des fonds fédéraux dépassent déjà 5 %, le consensus hésite entre une pause de la Fed jusqu’à la fin de l’année et un ultime relèvement de 25 points de base en juin ou en juillet. Pour 2024, les contrats à terme anticipent une baisse des taux à 3 %, une normalisation qui résulterait d’une inflation désormais sous contrôle. Pour la BCE, le marché table sur deux hausses de 25 points de base, puis quelques mois de pause et une année 2024 également sous le signe de la normalisation.

La forme des courbes de rendement obligataires reflète également cette interprétation. Les taux à court et moyen terme se situent aux niveaux auxquels le marché monétaire anticipe la fin des politiques restrictives, aux alentours de 5 % aux États-Unis et de 4 % dans la zone euro. Les taux des échéances les plus lointaines, inférieurs à ceux des échéances courtes, intègrent la normalisation des taux de la politique monétaire en 2024, une fois l’inflation vaincue. 

Du point de vue de l’investisseur, les parties courte et intermédiaire des courbes obligataires permettent d’obtenir des rendements à l’échéance largement positifs avec une volatilité relativement faible. Les échéances lointaines présentent un potentiel de baisse des taux important (gain en capital) en cas de brusque ralentissement de l’économie. 

Les actifs risqués affichent des valorisations intéressantes dans un contexte macroéconomique encore incertain, susceptible de raviver la volatilité. 

Dans le segment des obligations d’entreprises, les titres de qualité Investment Grade présentent un profil risque-rendement attrayant avec des taux à terme historiquement élevés et des spreads qui intègrent déjà un certain degré de ralentissement économique. En cas de scénario macroéconomique défavorable, les obligations High Yield seraient en revanche soumises à un risque de volatilité élevé. Sur les marchés du crédit, il convient de s’intéresser aux obligations émises dans les pays émergents dont les Banques Centrales ont fortement relevé leurs taux d’intérêt, avant la Fed et la BCE, et disposent à présent d’une marge de manœuvre en cas de ralentissement brutal de l’économie. 

S’agissant des actions, les valorisations absolues (ratio cours/bénéfices) et relatives (prime de risque par rapport aux emprunts d’État) sont à des niveaux historiquement attrayants et compatibles avec des objectifs de rendement à moyen terme conformes aux moyennes historiques. La poursuite éventuelle du resserrement monétaire ou, au contraire, un ralentissement brutal de l’économie pourrait toutefois raviver la volatilité, qui s’est récemment atténuée dans la perspective d’un atterrissage en douceur de l’économie. 

Le contexte de surchauffe de l’économie, à savoir la sortie rapide et inflationniste de la récession engendrée par l’épidémie de Covid, a favorisé l’appréciation du dollar en 2021 et 2022. Deux raisons à cela : la Fed a été celle parmi les Banques des pays développés qui a ouvert la voie à la hausse des taux d’intérêt ; en second lieu, l’incertitude suscitée par la flambée de l’inflation a renforcé le statut de valeur refuge du dollar. 

Dès que la surchauffe a semblé décliner à la fin 2022, le dollar a perdu de sa superbe, même si la devise américaine a cessé de perdre du terrain dernièrement. 

Dans l’hypothèse privilégiée, qui est celle d’un reflux progressif de l’inflation et d’un ralentissement ordonné de l’économie, le dollar devrait à nouveau se replier à la faveur de l’atténuation des incertitudes. D’autre part, le dollar pourrait également fléchir dans le scénario alternatif d’un atterrissage brutal, dans lequel la Fed pourrait décider à un moment donné de baisser ses taux plus tôt et plus rapidement que les autres Banques, en utilisant la faiblesse du billet vert comme facteur de soutien à son économie. 

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