Aide de l’UE à l’Ukraine : quand la corruption brouille les cartes

27 novembre 2023

Aide de l’UE à l’Ukraine : quand la corruption brouille les cartes

Un récent rapport du German Marshall Fund (GMF) des États-Unis, organisation fortement impliquée dans le soutien à l’Ukraine, met en lumière les défis persistants en matière de lutte contre la corruption dans le pays.

Daté de juin 2023, ce rapport souligne que bien que l’Ukraine ait amélioré sa position par rapport à son classement de 142e sur 175 nations en 2014, elle se retrouve toute de même actuellement au 116e rang sur 180 nations dans l’indice de perception de la corruption de 2022 établi par Transparency International. C’est un fléau qui s’est développée pour devenir une véritable culture car la corruption en Ukraine ne se limite pas à quelques individus corrompus. Les pots-de-vin, les détournements de fonds publics et les pratiques frauduleuses sont devenus monnaie courante dans tous les secteurs de la société, de l’administration publique aux entreprises privées.

La culture de la corruption sape profondément la confiance du public dans les institutions gouvernementales et alimente un cynisme généralisé. En effet, l’impact dévastateur de la corruption sur l’économie ukrainienne suscite de profondes inquiétudes. Les pots-de-vin et les paiements illicites ont depuis longtemps été des obstacles majeurs à la croissance économique du pays. Malheureusement, l’invasion russe n’a fait qu’aggraver ce fléau, amplifiant son ampleur avec l’arrivée massive de liquidités en provenance de l’Union européenne et des États-Unis. Depuis le début du conflit, par exemple, l’Union européenne a octroyé à l’Ukraine plus de 77 milliards d’euros d’aides et d’équipements militaires, mais avec très peu de garanties quant à leur utilisation effective. En effet, un haut fonctionnaire de la Commission européenne chargé de la surveillance des sanctions économiques et financières contre la Russie souligne avec inquiétude : « Nous injectons des dizaines de milliards dans l’Ukraine, mais nous sommes pratiquement dans l’obscurité concernant leur destination réelle. » Cette situation met en évidence la nécessité urgente d’une gestion plus transparente et responsable de l’aide internationale pour l’Ukraine.

Par ailleurs, le rapport du German Marshall Fund (GMF) des États-Unis met également en évidence que même si les mécanismes anti-corruption en Ukraine ont été renforcé depuis le début de la guerre, le pays est toujours gangrené par une forte corruption. Les entreprises sont souvent contraintes de verser des pots-de-vin pour obtenir des contrats gouvernementaux ou pour éviter des inspections fiscales punitives. Et le nouveau ministre de la Défense ukrainien, Roustem Oumerov, dont la nomination a été approuvée le mercredi 6 septembre par le Parlement, sera confronté à un défi de taille : mener la contre-offensive contre l’armée russe tout en éradiquant la corruption au sein de son ministère. Cependant, cette lutte contre la corruption n’est pas limitée au domaine de la défense. L’Ukraine souffre depuis des décennies d’une corruption endémique et généralisée.

Une corruption endémique et systémique

Les premières affaires de corruption majeures qui ont éclaté depuis le début de l’offensive russe en Ukraine portent sur la logistique et les commandes d’approvisionnement pour les forces armées ukrainiennes. Par exemple, le 21 janvier, le site d’information ukrainien ZN.ua a révélé une surfacturation massive de produits alimentaires destinés aux soldats, estimée à 13 milliards de hryvnias, soit 327 millions d’euros, des prix « deux à trois fois plus élevés » que les tarifs en vigueur à l’époque. En réaction à ces révélations, le vice-ministre de la Défense chargé de la logistique a démissionné, mais le ministère de la Défense a nié les accusations.

Quelques semaines plus tard après cet incident, plusieurs hauts fonctionnaires, dont cinq gouverneurs, quatre vice-ministres, deux responsables d’agences gouvernementales, un chef adjoint de l’administration présidentielle et un procureur général adjoint, ont été relevés de leurs fonctions en raison de leur implication présumée dans des affaires de corruption. Le système judiciaire ukrainien n’est pas en reste, avec l’arrestation, il y a quelques semaines en arrière, du président de la Cour suprême, Vsevolod Kniaziev, accusé de corruption.

En août dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été confronté à une situation alarmante qui a nécessité des mesures immédiates et radicales. Il a pris la décision sans précédent de limoger l’ensemble des chefs des bureaux régionaux et d’enrôlement militaire, mettant en lumière une pratique choquante. Ces hauts fonctionnaires étaient accusés d’avoir facilité la fuite de conscrits hors de la zone de guerre en échange de pots-de-vin. Les accusations portaient sur un large éventail de méfaits, allant de l’enrichissement illégal à la légalisation de fonds obtenus illégalement, en passant par les profits illicites et le transport illégal de conscrits de l’autre côté de la frontière. Cette révélation a non seulement mis en évidence la manière dont la corruption avait infiltré les plus hautes sphères du gouvernement ukrainien, mais elle a également mis en danger l’intégrité de l’effort de guerre en cours, sapant la mobilisation des forces militaires et minant la confiance du public dans l’administration.

Plus récemment, de nouvelles révélations ont jeté une lumière crue sur une autre facette troublante de la corruption en Ukraine. Des allégations de surfacturation ont émergé concernant l’achat d’uniformes militaires auprès d’une entreprise turque, qui s’avère être détenue par le neveu d’un député ukrainien influent. La surfacturation dans l’achat d’équipements militaires est particulièrement préoccupante, car elle nuit à la capacité de l’armée ukrainienne de fournir à ses soldats l’équipement nécessaire pour leur sécurité et leur efficacité sur le terrain. Face à cette situation intenable, le ministre ukrainien de la défense, M. Reznikov, a dû remettre sa lettre de démission à Rouslan Stefantchouk, président du Parlement ukrainien. « Sa position devenait intenable. Reznikov a tenté de s’expliquer. Mais les évidences de surfacturation l’ont tué», jusge un analyste proche du dossier.  

Ces scandales de corruption suscitent des préoccupations quant à l’utilisation des financements de l’Union européenne destinés à l’Ukraine et la transparence des dépenses.  Mais ne nous méprenons pas, en Ukraine, la corruption est un problème profondément enraciné et systémique qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain car elle a des racines historiques profondes qui remontent à l’époque soviétique. Et les bas salaires des fonctionnaires, loin de justifier leurs actes, favorisent ces derniers à accepter des pots-de-vin pour compléter leurs revenus. Espérons juste que du chaos actuel de la guerre surgira une lumière qui éveillera les consciences de tous les Ukrainiens.

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