Par Olivier de Berranger, CIO, La Financière de l’Echiquier
La physionomie de la dette européenne vient coup sur coup de subir d’étonnantes transformations. La vertueuse Allemagne envisage de lever, pour une quatrième année de suite, sa règle d’airain constitutionnelle limitant drastiquement tout déficit budgétaire à 0,35%, alors que plusieurs pays du Sud du continent, souvent montrés du doigt, affichent une trajectoire de désendettement à faire pâlir d’envie les plus orthodoxes. Une leçon de réalisme pour les ‘’grands’’ ?
Nuançons. L’Allemagne tient toujours son rôle de gardien. Malgré son déficit budgétaire ces dernières années, sa crise énergétique particulièrement aigue et son entrée en récession en 2023 (-0,8% de croissance réelle d’une année sur l’autre au 3e trimestre), le ratio de sa dette publique sur son PIB reste le meilleur des grands pays de la zone euro : 66% en 2022. Et une quasi-stabilité – voire une légère décrue – est prévue pour les prochaines années, d’après le consensus économique.
Mais il est vrai que le pays se retrouve en crise budgétaire à la suite d’une décision surprise de la cour de justice constitutionnelle allemande. Celle-ci a invalidé l’affectation de 60 milliards d’euros, initialement destinés à amortir la crise Covid mais non dépensés, à des fonds spéciaux liés à la transition énergétique, qu’il faudra donc financer autrement. Les dépenses doivent être coupées, si ce n’est « à la tronçonneuse » comme le clame le futur président argentin pour son propre pays, du moins à la serpe, alors que les engagements climatiques allemands sont réaffirmés, surtout à l’approche de la COP 28. Un poids supplémentaire sur une économie déjà mal orientée.
L’Allemagne n’est d’ailleurs pas la seule des ‘’grands’’ de la zone euro à être en difficulté budgétaire. La France, dont l’endettement par rapport au PIB est proche du double de l’Allemagne (110%), figure ainsi sur la liste récemment émise par la Commission européenne identifiant les pays « à risque de ne pas être en ligne avec les recommandations budgétaires de l’Union européenne » en 2024, en raison de dépenses publiques excessives. Les prévisionnistes estiment à environ 4 à 5% son déficit budgétaire au cours des prochaines années, loin des 3% qui définissent toujours la ligne rouge européenne.
Symétriquement, une partie du Sud européen s’illustre brillamment, non par son niveau d’endettement mais par sa trajectoire de rétablissement. La Grèce vient ainsi de remonter dans le classement de qualité des emprunteurs, se situant désormais à la frontière – en fonction des agences – entre les pays « fiables » (investment grade) et à risque. Son taux d’endettement, supérieur à 200% en 2020, devrait retourner vers 150% en 2024. Le Portugal, en grave difficulté pendant la crise des années 2010, vient de repasser sous le niveau d’endettement de la France. Tout comme l’Espagne. L’Italie elle-même connaît une nette amélioration, convergeant vers 140% au lieu des 155% de 2020, l’inflation aidant.
Quelle leçon en tirer ? Economiquement, il est urgent de revoir les règles d’endettement européennes, qui ne sont plus crédibles. Suspendues entre 2020 et 2023 pour cause de crise Covid et énergétique, les limites édictées dans les années 1990 reviennent a priori en application en 2024. Mais à l’heure où la zone euro dans son ensemble dépasse 90% d’endettement, il est inenvisageable de continuer à s’en revendiquer. Les Européens sont convenus de les revoir d’ici fin 2024, mais les négociations patinent, entre l’Allemagne et la France notamment, aux dépens de tous. Il faut donc recalibrer les rôles de chacun dans la négociation. De ce point de vue, l’Allemagne – tout comme la France – sort relativement affaiblie de ses errements récents, donnant aux pays du Sud de l’Europe davantage de crédibilité. Les règles de demain seront donc probablement moins marquées par l’orthodoxie allemande.
D’un point de vue boursier, le statut de référence des obligations des pays du Nord pourrait en partie être rééquilibré au profit des pays périphériques. Certains de ces pays voient déjà leur prime de risque se réduire fortement par rapport à l’Allemagne, signe d’une convergence globale de la zone.
Enfin, plus globalement, la trajectoire encourageante des petits pays du Sud de l’Europe pourrait fournir une source d’inspiration à d’autres pays en difficulté budgétaire dans le monde. Leur exemple montre la possibilité réelle d’un redressement, au prix de lourds sacrifices il est vrai, mais qui s’avèrent payants pour l’avenir en allégeant le fardeau de la dette.
Rédaction achevée le 27.11.2023
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