Par Karim Keita Co-fondateur Doing Good in Africa
L’Union Européenne est entrée dans la dernière ligne droite pour ratifier la « Directive sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de développement durable », plus communément appelée « Loi sur le Devoir de Vigilance » ou encore, CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive).
Le Conseil, le Parlement et la Commission de l’Union Européenne harmonisent actuellement leurs positions respectives pour finaliser le texte de loi définitif, qui devrait concerner les entreprises européennes (mais pas seulement) de plus de 250 salariés, facturant plus de 150 millions d’euros au global, dont au moins 40 millions en Europe.
Ces entreprises devront désormais s’assurer du respect des droits sociaux et environnementaux aussi bien dans leurs filiales, que chez leurs sous-traitants et partenaires commerciaux, partout dans le monde. Comment ? Par la mise en place de plans de vigilance, destinés à identifier et prévenir tous les types d’impact négatif que l’entreprise, dite dominante, génère, potentiellement ou réellement, sur ses Parties Prenantes (fournisseurs, clients, communautés locales…) et sur l’environnement, et la mise en œuvre effective de plans de remédiation ou de compensation en cas d’impact avéré.
Oui, et ce à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, cette loi européenne est dotée d’un caractère d’extra-territorialité. Les entreprises de toute nationalité sont concernées, pour autant qu’elles aient des activités commerciales significatives au sein de l’Union Européenne, que ce soit via des filiales ou non.
Ensuite, le Devoir de Vigilance impliquant toute la chaîne de valeur des donneurs d’ordre, il est inévitable que ces derniers feront cascader leurs plans de vigilance sur leurs Parties Prenantes, qui devront à leur tour responsabiliser leurs propres sphères d’influence. Autrement dit, à titre d’exemple, un sous-traitant suisse d’un fournisseur allemand d’une multinationale italienne aura toutes les chances de se voir imposer des audits à caractère social et environnemental par cette dernière, via son fournisseur allemand, au nom du Devoir de Vigilance…
Autre facteur d’alignement : si l’Union Européenne intègre les entreprises financières dans le périmètre de la CSDDD, alors toute entreprise bénéficiant d’investissements ou de crédits d’établissements bancaires européens se verra également responsabilisée par rapport à ses impacts sociaux et environnementaux…
Enfin, de façon plus générale, avec le Devoir de Vigilance, les entreprises européennes endosseront désormais le statut de mieux-disant sur les marchés internationaux, ce qui était auparavant l’apanage des entreprises suisses, portées par la réputation du Swiss made. Conséquence : certaines d’entre elles pourraient se voir déréférencées ou exclues de marchés publics devenus plus exigeants en matière de durabilité. Et leur réputation auprès des sociétés civiles pourrait se voir déclasser par rapport à des entreprises européennes qui ne manqueront pas de faire du zèle en matière de Devoir de Vigilance…
Le Conseil fédéral étudie actuellement les modalités pour faire évoluer le Code des Obligations suisse afin que ce dernier intègre, en partie, les grandes lignes directrices de la CSDDD.
Dans l’attente de cet ajustement, les entreprises suisses soumises à la CSDDD du fait de leurs activités sur le sol européen, mais aussi celles qui sont impliquées dans les chaînes de valeur dominées par des entreprises de l’UE, devront produire et publier des plans de vigilance robustes, et prouver qu’elles ont pris les dispositions nécessaires pour prévenir, atténuer ou réparer tout dommage, direct ou collatéral, généré par leurs activités à travers le monde.
La problématique sera d’autant plus complexe dans les marchés émergents (Afrique, Amérique latine, Inde…), où la gouvernance des affaires est difficilement lisible, du fait d’économies informelles de grande envergure, de contrôles étatiques souvent défaillants, de filières industrielles opaques…
Or c’est précisément dans ce type de marché que ONG et activistes redoubleront d’efforts pour dénoncer les défaillances des grandes entreprises en termes de vigilance, avec pour conséquence ultime une remise en cause, publique, de leur « license to operate »….Un risque que les multinationales devront obligatoirement couvrir, sous la pression de leurs actionnaires. Avec pour probable conséquence un contrôle accru sur leur chaîne de valeur, quitte à déréférencer les prestataires les moins bien préparés.
Entreprises suisses du monde entier, vous êtes désormais prévenues…
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