Photo Olivier Rigot © BCB
Olivier Rigot – Etude BCB « Bien-être à Genève »
Dans un contexte mondial marqué par des défis tels que la pandémie, les conflits, l’inflation et les catastrophes naturelles, un sentiment de morosité peut facilement s’installer. Pour y faire face, un « think tank » apolitique à Genève a lancé une initiative novatrice axée sur le bien-être. Cette initiative vise à explorer la notion de bonheur dans le canton, en se détachant des approches traditionnelles et dogmatiques. Au cœur de ce projet, l’idée consiste à développer des indicateurs alternatifs de bien-être, qui iraient au-delà du simple calcul du Produit Intérieur Brut, pour mieux cerner et promouvoir le véritable bonheur et la qualité de vie des Genevois.
L’étude « Bien-être à Genève 2023 » se concentre sur l’examen de la qualité de vie et du bien-être dans le Canton de Genève. Inspirée par le concept du Bonheur National Brut, elle vise à aller au-delà des discussions politiques et économiques traditionnelles. Elle couvre des sujets variés tels que la dynamique économique, l’efficacité des soins de santé, l’accessibilité et l’abordabilité du logement, la qualité de l’air et de l’eau, la cohésion sociale et l’impact de ces facteurs sur le bien-être de la population. L’étude explore également l’autonomie énergétique de Genève, notamment en termes de production et de consommation d’électricité. Rencontre avec Olivier Rigot, l’un des contributeurs à l’étude « Bien-être à Genève 2023«
Monde Economique: Avant de plonger dans les détails, pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé la réalisation de l’étude ‘Bien-être à Genève 2023’ et quels étaient ses objectifs principaux ?
Olivier RIGOT: Vous l’avez souligné en préambule, notre groupe s’est constitué en 2016 afin de réfléchir sur des sujets en lien avec l’avenir de Genève, un canton auquel tous les membres sont profondément attachés. Notre équipe est apolitique et entend se placer au-dessus de la mêlée politique et de réfléchir avant tout au bien commun. Notre cercle réunit des gens ayant à la base des sensibilités politiques très différentes, il s’agit de personnes issues de la société civile et qui sont également très actives dans la vie de la cité et dans les associations. Enfin, notre équipe est très éclectique et représentative de la société, elle comprend des personnes jeunes, expérimentées et de toutes sensibilités. Christian Brunier, Magali Orsini, Félix Urech, Marine Badan, Jacques Jeannerat, Vincent Daher, Dilara Barak et Alain Heck font partie du groupe de réflexion. Assez naturellement, nos discussions se sont portées sur les notions de bien-vivre ensemble et de bien-être à Genève. Nous nous sommes un peu inspirés du concept de Bonheur National Brut, bien que le niveau de développement économique et social soit très différent entre le Bhoutan et la Suisse.
Monde Economique: Dans le cadre d’une étude aussi complexe et significative que celle-ci, la méthodologie adoptée joue un rôle fondamental pour garantir la validité et la pertinence des résultats obtenus. Pourriez-vous nous éclairer sur la méthodologie utilisée ?
Olivier RIGOT: Notre objectif sous tendant l’étude consiste à développer une série d’indicateurs allant au-delà des classiques mesures purement économiques telles que le Produit Intérieur Brut, l’inflation, le Revenu National par habitant, etc… L’étude a été réalisée en collaboration avec l’Université de Genève, l’IREG et les HEG. Nous avons ensuite complété cette étude par notre propre recherche en lien avec des données fournies par les SIG et l’OCSTAT. La méthodologie se veut la plus scientifique possible afin d’éviter les biais subjectifs liés à des questionnaires d’opinion tels que : « Êtes-vous heureux ? ». La démarche est évidemment complexe et comme toute recherche pure, elle peut déboucher sur des indicateurs intéressants ou pas.
Monde Economique: Quels sont, selon vous, les constats les plus marquants de cette étude ?
Olivier RIGOT: Globalement, le niveau de bien-être de la population à Genève est élevé malgré nos Genfereis qui alimentent régulièrement les chroniques politiques ou le côté râleur du Genevois que l’on aime bien brocarder chaque année à la Revue. L’étude met en évidence, par exemple, que la cohésion sociale à Genève est très bonne et parmi les plus élevées de Suisse avec le canton de Bâle. Il faut rappeler que le budget du Département de la cohésion sociale dirigé par le Conseiller d’État Thierry Apothéloz s’élève à environ 2,4 milliards de francs suisses et représente près de 25 % du budget cantonal. Cette manne financière permet de déployer des politiques publiques généreuses en faveur de la population. Nous regrettons néanmoins que des associations travaillant dans l’urgence sociale, consistant à offrir un bol de soupe aux laissés pour compte de notre société par exemple, ne soient pas ou que très peu subventionnées par l’État. Nous profitons de cette interview pour relever le travail remarquable que réalisent des organisations issues d’initiatives privées telles que la Fondation Partage, les Colis du cœur, le CARE, la Coulou et j’en oublie bien d’autres.
Nous constatons que malgré les chiffres cités, il y a encore des trous béants dans le filet social en particulier pour des personnes non insérées socialement, telles que celles occupées dans l’économie domestique parallèle. Nous avons également relevé, dans le cadre de notre étude sur le bien-être à Genève, que la qualité de l’eau et de l’air s’est notablement améliorée au fil des décennies. Il y a cinquante ans, le lac était un cloaque, aujourd’hui, les citoyens se sont réappropriés les rives du Léman et en profitent pleinement, même durant la saison froide. La réalisation de la plage des Eaux-Vives est un véritable succès et les projets de réaménagement du quai Wilson permettront d’étoffer l’offre de baignades et de lieux pour se prélasser au bord de ce magnifique plan d’eau. Cet exemple est symptomatique du temps parfois long qui est nécessaire pour améliorer les conditions-cadres du bien-être d’une population.
Dans le cadre de la décarbonisation de la planète, cet exemple est source d’espoir pour autant que la volonté de la population et des partis politiques soit réunie pour tendre vers un objectif commun. Je pense au sujet d’actualité consistant à améliorer l’enveloppe thermique de nos bâtiments. Ce thème n’a toujours pas réuni de consensus au Grand Conseil sur le financement de ces chantiers d’envergure qui pourtant doivent être mis en œuvre le plus rapidement possible, urgence climatique oblige.
Nous nous sommes également intéressés à l’autonomie énergétique du canton en matière de production d’électricité. La bonne nouvelle qui résulte de l’étude est que la consommation électrique par habitant a fortement diminué ces dernières années grâce au programme Éco 21 mis sur pied par les SIG et également grâce à une meilleure efficience de nouveaux appareils utilisés par la population ainsi que l’usage généralisé des ampoules LED. Du côté des énergies renouvelables comme la production d’électricité à base de panneaux solaires photovoltaïques, malheureusement et malgré les programmes mis en œuvre, la production solaire ne représente que 3 % de la consommation électrique du canton ; il reste encore un long chemin à parcourir jusqu’à ce que le canton parvienne à un certain degré d’autarcie énergétique. Il convient également de relever qu’un certain nombre de critères de durabilité ne sont pas atteints (approche dite par les Donuts) malgré une certaine amélioration de l’indice de soutenabilité (SDI) ces dernières années.
Monde Economique: Sur la base de vos constats, quelles sont les stratégies clés ou les recommandations que vous suggérez pour répondre aux besoins et aux défis identifiés ?
Olivier RIGOT: Il reste encore beaucoup à faire pour continuer à améliorer le bien-être de la population dans le contexte d’un territoire exigu comme le canton de Genève qui, et c’est une bonne chose, jouit d’un fort niveau d’attractivité sur le plan économique et donc, des ressources fiscales abondantes. Il faut souligner que nous n’avons pas abordé dans notre étude le sujet épineux de la mobilité et des défis liés au Grand Genève. Par contre, nous avons étudié la problématique des loyers et corollaire du logement à Genève. En conclusion, nous constatons qu’il existe deux marchés du logement locatif. Environ 92 % de la population est bien logée à Genève, à des prix raisonnables et dont la hausse des loyers n’a pas atteint le niveau de l’inflation depuis le début du millénaire. La problématique réside dans la persistance d’un faible taux de vacance des appartements et du 8 % des logements qui sont remis sur le marché chaque année et dont les loyers sont ajustés aux conditions du marché.
C’est un problème majeur pour les jeunes qui quittent le nid familial et qui se mettent en chasse pour intégrer un premier lieu de vie ainsi que pour les familles qui s’agrandissent et qui recherchent un environnement plus spacieux. Enfin, il faut citer le taux de divorces élevé dans notre canton qui oblige les conjoints qui se séparent à rechercher deux appartements spacieux pour accueillir les enfants lors de gardes partagées.
Notre proposition formulée à l’attention des décideurs politiques consisterait à concevoir des immeubles permettant d’accueillir des primo-locataires pendant une durée de trois ans, par exemple, à des loyers raisonnables, le temps que ces personnes soient intégrées dans la vie active et puissent, quelques années plus tard, envisager d’intégrer le marché classique de la location. Après les HLM, les HBM, les coopératives d’habitation, on pourrait imaginer un nouveau concept de logement social qui, par ailleurs, pourrait intéresser les caisses de pension en quête de placements intéressants.
Monde Economique: Les résultats d’une étude telle que celle-ci ont le potentiel de jouer un rôle déterminant dans la formation des politiques publiques. Comment les décideurs politiques pourraient-ils intégrer efficacement les recommandations de votre étude dans leurs plans d’action pour répondre aux besoins des citoyens de Genève ?
Olivier RIGOT: Il faut le reconnaître, nous sommes un peu déçus de l’accueil que les formations politiques de notre canton ont réservé à notre rapport. En effet, un de nos objectifs est que les pouvoirs publics établissent sur une base régulière une batterie d’indicateurs permettant de suivre l’évolution du bien-être à Genève. Néanmoins, nous ne désespérons pas et nous continuons de cheminer, notre bâton de pèlerin en main, afin de sensibiliser et de rassembler les grands acteurs politico-économiques du canton autour d’un projet qui se veut consensuel, à savoir : le bien commun de la population au-delà des dogmatismes politiques. Néanmoins, nous avons été très bien reçus par le Conseiller d’État Antonio Hodgers et nous avons pu échanger sur les sujets évoqués dans l’étude en compagnie de ses collaborateurs. Dans ce dossier comme dans d’autres, c’est la politique des petits pas qui prévaut et qui finira par porter ses fruits.
Monde Economique: Dans le sillage de la publication d’une étude d’une telle envergure, comment comptez-vous maintenir l’élan généré par cette publication ?
Olivier RIGOT: Idéalement, nous aimerions fédérer les différents groupes de recherche qui travaillent sur ce sujet à Genève, qu’ils soient privés ou publiques. Nous sommes convaincus que les notions de bien-être et de bien-vivre intéressent la population dans sa globalité et qu’il est possible à Genève de travailler ensemble pour la recherche du bien commun. C’est d’ailleurs ce qui a frappé de nombreuses personnes que nous avons rencontrées, nous avons été capables, dans notre groupe de réflexion, de réunir des gens aux sensibilités politiques très différentes autour d’un projet rassembleur. C’est une grande source d’optimisme.
L’étude est disponible auprès d’Olivier Rigot (olr@emcge.com)
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