Photo Matthieu Dulguerov © REYL
Par Matthieu Dulguerov, Responsable de la recherche et des produits, REYL Intesa Sanpaolo
Un véhicule d’investissement est un produit financier qui permet d’offrir aux investisseurs un service de gestion d’actifs. Derrière tout produit, tel que Berkshire Hathaway, il y a un fond et une forme. Le fond est le portefeuille de titres, résultat d’un processus d’investissement appliqué à un univers d’investissement. La forme est le cadre juridique, qui traite de l’ensemble des éléments régulatoires et contractuels du véhicule d’investissement.
Peut-être faites-vous partie de celles et ceux qui pensent que la forme choisie par Warren Buffet pour implémenter sa stratégie d’investissement est accessoire et que sa réussite financière ainsi que celle de son associé, récemment décédé, Charlie Munger ne s’explique que par leur choix d’investissement ? Si tel est le cas, nous allons, dans les lignes qui suivent, essayer de vous convaincre du contraire en vous montrant qu’une condition nécessaire au succès d’un produit est la correspondance entre sa forme et son fond.
Considérons un produit dont les décisions d’investissement sont prises avec une approche de long terme et qui offre de la liquidité, à savoir la possibilité aux investisseurs de convertir le produit en une somme d’argent quasi-immédiatement disponible. Jusqu’à présent, le produit en question, qui n’investit que dans des sociétés cotées, a affiché une performance financière bien supérieure à son indice de référence si bien que de nombreux investisseurs sollicitent leur gérant pour l’acheter. Chaque fois que celui-ci rencontre un investisseur potentiel, il tient le même discours, à savoir que personne ne devrait acheter le produit s’il n’a pas un horizon temporel d’au moins cinq ans. Que pensez-vous qu’il se passerait si la valorisation du produit devait chuter de 30% sur une période inférieure à l’horizon temporel ?
Malgré les nombreuses mises en garde sur la nécessité d’avoir un horizon temporel d’au moins cinq ans, le doute s’installerait chez les investisseurs pour finalement réveiller leur instinct de survie qui les pousserait alors à vendre au pire moment de peur de tout perdre. La fuite prématurée des investisseurs, rendue possible par une inadéquation entre le fond et la forme, ne serait pas sans conséquences. Elle s’accompagnerait d’externalités négatives pour les parties prenantes. En premier lieu, les investisseurs ayant acheté le produit quelques temps avant sa chute et qui l’auraient vendu juste après auraient beaucoup perdu. En second lieu, ces investisseurs en voudraient à l’entreprise responsable de la gestion du produit, ce qui nuirait à sa réputation. Et enfin, le gérant du produit serait remercié sous prétexte d’incompétence. Il lui serait reproché, par exemple, de ne pas avoir sélectionné les sociétés capables de résister à la baisse des prix.
Ce dernier argument est absurde. Peu importe la qualité du gérant quant à la sélection des sociétés, elle ne le met pas à l’abri de périodes de sous-performance. Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un portefeuille pondéré par la capitalisation boursière de ses constituants et composé de cinquante sociétés qui auront la meilleure performance dans cinq ans parmi toutes les sociétés de l’indice S&P 500. Au terme des cinq ans, la composition ainsi que la pondération du portefeuille est revue sur la base du même principe présenté ci-dessus. Et ainsi de suite du début de l’année 1927 à la fin de 2009. Nous partons donc du principe que nous savons avec certitude, cinq ans à l’avance, les cinquante entreprises de l’indice qui afficheront la performance la plus élevée à la fin de cette période. Sans surprise, la performance historique de ce portefeuille a été excellente. Il a largement surperformé le marché en affichant une performance de 29% par an, du début de l’année 1927 à la fin de 2009, soit pendant plus de quatre-vingts ans. Mais ce qui est surprenant, c’est qu’à un moment donné, cet incroyable portefeuille a chuté de plus de 75% et qu’à d’autres moments il a baissé bien plus que le marché !
Ce portefeuille a été présenté par Wesley Gray dans une étude publiée en 2016 et intitulée « Even God would get fired as an active investor ». Si le titre est accrocheur, il ne nous semble pas suffisamment précis. « Even God would get fired as the long-term investment manager of an open-end fund with daily liquidity » aurait mieux convenu. En effet, ce dernier titre indique clairement que l’absence d’harmonie entre le fond et la forme du produit conduit inévitablement à l’échec indépendamment de la qualité du fond.
Concluons par une proposition simple et efficace afin d’éviter les conséquences fâcheuses liées à un déséquilibre entre la forme et le fond. Idéalement et contrairement à l’usage établi, la liquidité observée ne devrait jamais être inférieure à l’horizon temporel d’un produit financier. Ainsi, la forme idéale deviendrait une fonction de l’horizon temporel de la stratégie d’investissement. Les produits d’investissement disponibles sur les marchés privés bénéficient déjà de cet avantage. Nous envions leur forme et aspirons un jour à les imiter. Pour le moment, nous nous appliquons à communiquer de façon transparente nos actions de gestion en espérant que nos clients, indépendamment des fluctuations de marché, se tiennent à l’horizon temporel qu’ils ont choisi initialement.
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