Par Olivier Desjeux
Entrées en vigueur le 23 novembre 2022, les dispositions de reporting ESG prennent un caractère obligatoire le 1er janvier 2024 pour les entreprises comptant plus de 500 employés, celles cotées en bourse et celles qui présentent un risque d’exposition critique à ces sujets.
En emboitant le pas du Conseil de l’Union Européenne, et à la faveur du contre-projet indirect de l’initiative « Entreprises responsables », le Conseil fédéral Suisse a inscrit des nouvelles dispositions au code des obligations visant à mieux protéger l’environnement et la société. Cette mesure vise à accroître la transparence et à rendre les rapports non financiers des entreprises plus comparables. La tentation est grande de confier le sujet au directeur financier, qui lui-même transmettra le dossier au comptable qui a l’habitude de faire des miracles.
Ces nouvelles règles laissent, pour l’instant, une grande part de liberté à l’interprétation des détails de leur mise en œuvre. L’écosystème helvétique étant principalement composé de SME/TPE, la réaction la plus tentante est d’écarter le sujet jusqu’à ce qu’il prenne un caractère plus directif. Toutefois, les implications sur la direction dans laquelle le reporting ESG est appelé à se développer ne concernent pas seulement les entreprises directement visées par l’ordonnance. La sous-traitance sera également priée de considérer ses impacts environnementaux et sociétaux par, en particulier, l’obligation des grands donneurs d’ordre de divulguer le scope 3 de leurs émissions de gaz à effets de serre.
L’ordonnance Suisse de rapports non financiers est élaborée en suivant les tendances internationales. Le principe est d’offrir une image complète des interactions de l’entreprise avec ses parties prenantes, en particulier l’environnement et la société. Le principe de la double matérialité est de révéler en premier lieu l’impact des évolutions climatiques sur le risque financier de l’entreprise. Dans un deuxième volet, l’entreprise doit révéler l’impact climatique et sociétal des activités de l’entreprise. Ce concept de double matérialité, introduit par l’UE en 2019 est la base des principales normes de reporting ESG existantes et à venir.
Cette contrainte de double matérialité est une occasion inespérée pour les entreprises de challenger leur business model pour en vérifier la pérennité sur le long terme. A l’opposé du reporting financier, aucune norme n’est prescrite en Suisse pour la divulgation des informations non financières. Il appartient à l’entreprise d’évaluer soigneusement ses intérêts au moment de s’engager pour un modèle en vérifiant, par exemple, celui qui est choisi par ses principaux clients de l’UE. Ce qui est présenté comme une liberté de choix par le Conseil fédéral est en réalité une façon pour les entreprises de mieux se fondre dans le paysage des échanges internationaux. En première lecture, à défaut d’en retirer un avantage compétitif immédiat, l’entreprise évitera ainsi de reprendre sa copie pour une nouvelle formulation.
En termes d’enjeu stratégique, et au-delà de la stricte obligation de reporting, cette double matérialité pose les bases d’un examen des domaines d’activité de l’entreprise. En analysant l’impact des évolutions climatiques sur les performances financières de l’entreprise, celle-ci a l’occasion de se projeter au-delà de ses objectifs financiers des prochains trimestres. Idem pour l’impact de ses activités sur l’environnement et la société. Cet examen de conscience n’est certes pas toujours très confortable à réaliser, et encore moins à divulguer.
Si les rapports que l’entreprise doit publier ne présentent pas de caractère contraignant, ils dévoilent malgré tout des pratiques qui peuvent affecter leurs relations aux parties prenantes. Que ce soient les clients, les consommateurs, investisseurs, ONG, et même les employés, les informations détaillées et comparables des facteurs ESG prendront de plus en plus de place dans une décision. Par une démarche de reporting subie, l’entreprise s’expose au risque de dommages préjudiciables à ses intérêts, au rang desquels le dommage de réputation n’est pas des moindres.
En considérant l’obligation de reporting ESG comme une opportunité, l’entreprise a l’occasion d’ouvrir le chantier de la pérennité de son modèle économique. Certes, le moment est toujours inopportun pour engager ce genre de réflexion alors que la bataille pour les résultats du prochain trimestre fait rage. Si la gouvernance doit prendre le temps de réfléchir sur l’évolution de la vision de l’entreprise, après tout c’est bien l’un de ses rôles, le management est accaparé par les objectifs du quotidien. La formulation de la stratégie permettant l’exécution de l’évolution de la vision de l’entreprise devra tenir compte de la disponibilité des ressources. C’est la durabilité de l’entreprise et de son environnement qui sont en jeu.
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