Par Olivier de Berranger, CEO et CIO, La Financière de l’Echiquier
Data dependent : l’expression, prononcée pour la première fois par Christine Lagarde le 3 février 2022, ne cesse depuis d’être martelée. Ce fut à nouveau le cas, à 5 reprises, lors de la conférence de presse du 7 mars, pour décrire l’approche de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans la conduite de sa politique monétaire.
Autrement dit, la BCE ne s’appuie pas sur des modèles prospectifs pour anticiper la trajectoire économique de la zone. Son approche se base sur les données, par définition constatées et donc rétrospectives plutôt que prospectives. Schématiquement, cela reviendrait pour un conducteur automobile à piloter son véhicule non pas en scrutant le pare-brise, mais en se focalisant sur le rétroviseur, une pratique a priori périlleuse…
Revenons début 2022. A cette période, après avoir été léthargique pendant près de 25 ans, l’inflation de la zone euro franchissait les 5%. Sa version la moins volatile – l’inflation dite ‘’cœur’’ – franchissait quant à elle 2,5%, un niveau de tension inédit depuis la création de l’union monétaire. Les causes étaient identifiées : tensions sur les chaînes d’approvisionnement dues au Covid, hausses des matières premières liées au conflit en Ukraine, et greedflation[1] des entreprises dans un contexte d’offre limitée face à une reprise de la demande post-Covid. Or, c’est à ce moment précis que la plupart des économistes, y compris ceux de la BCE, ont anticipé une poussée inflationniste temporaire et limitée. La suite leur a donné tort, l’inflation de la zone poursuivant sa chevauchée pour dépasser 11% fin 2022.
Dans la tempête, la BCE a choisi d’abandonner son approche traditionnelle : plutôt que de se fier à ses modèles prospectifs et d’offrir de la visibilité au travers de sa forward guidance, elle a fait le choix d’une approche basée sur les données.
Aujourd’hui, la situation a pourtant bien changé. Le tour de vis monétaire, après une hausse cumulée de 4,5% des taux directeurs, a permis de bien amorcer un virage désinflationniste. A 2,6%, l’inflation n’est plus très loin de la cible de la BCE. Mais pas question d’évoquer la possibilité de baisser les taux lors de la dernière réunion du conseil des gouverneurs. Pourtant, les prévisions de la BCE elle-même, anticipent une inflation à 2,3% en 2024, puis parfaitement ajustée à sa cible de 2,0% en 2025, en nette baisse par rapport aux estimations de décembre dernier.
Après avoir pris trop de temps à réagir face à la poussée inflationniste, la BCE accepte donc à présent le risque d’agir trop tard face à la désinflation. Pari risqué quand on voit que la transmission de ses dernières décisions a été plus longue qu’elle ne l’anticipait. La BCE doit-elle troquer son rétroviseur pour des jumelles afin d’éviter une erreur de politique monétaire ?
[1] Augmentation des prix de vente non justifiée par une augmentation des coûts de production, dans un contexte d’inflation, permettant de masquer l’augmentation des marges.
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Rédaction achevée : 11 mars 2024
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