Photo © D. Barbier-Mueller
Le 9 juin prochain, les citoyens genevois sont appelés aux urnes pour se prononcer sur une question cruciale : la modification de la Loi sur l’accueil préscolaire (LAPr), adoptée en 2023. Face à une pénurie alarmante de plus de 3200 places en crèche, dont 1100 rien que pour la ville de Genève, l’urgence de trouver des solutions durables est palpable. Le référendum prévu pour le 9 juin suscite des discussions passionnées, car il pourrait déterminer l’avenir des crèches privées dans la région. Dans ce contexte, la rédaction du Monde Economique a accordé une interview à Diane Barbier-Mueller, cheffe d’entreprise et Députée au Grand Conseil de Genève depuis 2018.
Le Monde Economique: Au cœur du débat, un slogan retentit : « Pas de crèches au rabais ! Pas d’économies sur le dos du personnel et des enfants ! ». Pouvez-vous expliquer ce qui, selon vous, est inexact ou trompeur dans ce message ?
Diane Barbier-Mueller: Cette loi ne vise pas à augmenter ou diminuer les salaires, mais à empêcher la fermeture de structures privées. Je pense qu’il y a une confusion entre cette loi et un projet de loi de l’UDC qui est actuellement en traitement au Grand Conseil. La loi que nous sommes appelés à voter le 9 juin prochain ne concerne pas les conditions de travail ou de salaire du personnel des crèches publiques. Il s’agit plutôt d’empêcher la fermeture de crèches non subventionnées, qui aujourd’hui n’ont pas les moyens de rémunérer leur personnel aux mêmes conditions que celles pratiquées par la Ville de Genève (salaires, annuités, indexation…).
Le Monde Economique: Étant donné que les crèches privées jouent un rôle vital dans le réseau d’accueil préscolaire de Genève, pourriez-vous nous expliquer pourquoi la modification de la LAPr est cruciale pour l’avenir de ces institutions ?
Diane Barbier-Mueller: Depuis 2022, le SASAJ (Service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour) exige que toutes les structures d’accueil de la petite enfance (enfants de 4 mois à 4 ans) respectent une convention collective (CCT) ou suivent les pratiques en vigueur dans la majorité des structures, à savoir celles de la Ville de Genève (qui exploite plus de la moitié des entités). Cette exigence a entraîné une augmentation des charges d’exploitation pour les crèches non subventionnées, passant de CHF 35’000 à CHF 47’000 par an et par enfant. Leurs revenus dépendant uniquement des frais de souscription des parents, il devient très difficile pour ces structures d’augmenter encore ces montants. En effet, avec plus de CHF 4’000 par mois de frais de garde, il devient économiquement plus avantageux pour les parents d’employer une nourrice à domicile. De plus, cette situation limite l’accès aux crèches pour la classe moyenne, réduisant ainsi l’offre disponible.
Le Monde Economique: Quels sont les principaux défis que rencontrent actuellement les crèches privées sous la réglementation actuelle ?
Diane Barbier-Mueller: Les crèches privées n’ont pas la possibilité de recevoir des subventions. Pourtant, depuis l’acceptation de la RFFA, les entreprises cotisent davantage pour les structures de la petite enfance. Étant donné que leur fonctionnement repose uniquement sur leurs propres revenus, il est contestable que l’État leur impose les rémunérations à pratiquer. Il faut également considérer les charges significatives engendrées par les normes sécuritaires et réglementaires, qui s’appliquent à toutes les structures d’accueil de la petite enfance. Avec le déficit de places disponibles, il est difficile de comprendre pourquoi on impose des contraintes à des crèches qui offrent une alternative à l’offre insuffisante des établissements publics.
Les crèches privées ne souhaitent pas imposer un salaire minimum à tout leur personnel. Elles préfèrent respecter le salaire minimum pour une personne débutant son activité, permettant ainsi une progression salariale basée sur l’expérience. Bien que les structures privées offrent des salaires généralement inférieurs à ceux des structures publiques, elles compensent par des avantages en nature, des perspectives d’évolution, une plus grande souplesse dans le cadre d’enseignement et des taux d’absentéisme souvent moins élevés.
Le Monde Economique: Ne pensez-vous pas qu’il y a une certaine exagération de la part des partisans de la modification lorsqu’ils insinuent qu’en l’absence de changements, nous pourrions assister à une disparition progressive des crèches privées à Genève ?
Diane Barbier-Mueller: Après avoir discuté avec plusieurs crèches privées, il apparaît clairement que proposer des frais d’inscription de plus de CHF 4’000.- par mois aux parents serait démesuré. Les modèles de crèches alternatives, tels que les éco-crèches ou les modèles Montessori, perdraient leur attrait pour des parents n’ayant pas les moyens de payer de tels montants. Seules les crèches de luxe pourraient alors subsister. Il est important de rappeler que, selon les chiffres du SRED (Service de la recherche en éductation), il y a presque 1000 places de crèche qui ne bénéficient pas de subventions et contribuent à offrir une solution aux parents. Sans ces places, de nombreux parents seraient contraints d’abandonner leur activité professionnelle pour s’occuper de leurs enfants. Les crèches privées représentent aujourd’hui une véritable solution de secours pour les parents, et il serait regrettable de les pénaliser.
Le Monde Economique: L’UDC propose comme solution à cette situation d’alléger l’encadrement dans les crèches pour pouvoir accueillir plus d’enfants. Quelle est votre opinion sur cette approche, et quelle vision à long terme avez-vous pour l’équilibre entre les crèches privées et publiques à Genève ?
Diane Barbier-Mueller: Je ne pense pas que revoir le taux d’encadrement soit une bonne solution. Cette partie du projet de loi est d’ailleurs très contestée par le personnel de la petite enfance, qui craint un débordement et une perte de qualité dans leur travail. Je comprends leurs craintes. Mais malheureusement, ce projet de loi est aujourd’hui confondu avec la votation du 9 juin, ce qui est dommage. En fermant des crèches privées, il est en revanche à craindre que le projet de loi de l’UDC en sorte renforcé, afin de compenser ce manque
Le Monde Economique: Quel message souhaitez-vous transmettre aux électeurs genevois avant le vote du 9 juin ?
Diane Barbier-Mueller: Il est fondamental de comprendre que si la loi n’est pas acceptée le 9 juin prochain, c’est une partie de l’offre des places de crèches qui se retrouvera menacée. Non seulement avec les structures qui fermeront, mais également avec celles qui n’ouvriront jamais. Cette loi ne touche pas aux conditions des crèches publiques. Elle ne remet pas en cause une pratique de longue date. Elle demande un retour à ce qui se faisait avant 2022, et à ce qui se pratique dans toutes les entreprises privées : le paiement d’un salaire conforme au marché. Si une crèche n’offre pas des conditions attractives, elle ne trouvera pas de personnel compétent.
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