Par Olivier de Berranger, CEO et co-CIO, La Financière de l’Echiquier
En Europe comme aux Etats-Unis, une clameur monte en cette année d’élections : protégez-nous ! Selon les groupes : contre l’inflation, l’immigration, les ingérences étrangères, le ‘’wokisme’’, le racisme, la guerre, le changement, le déclassement…
Aux Etats-Unis, ce cri retient particulièrement l’attention des Républicains. Prenant le contrepied du libéralisme des années Reagan, une forme renouvelée de protectionnisme a le vent en poupe, non seulement contre l’immigration mais aussi contre la concurrence internationale, en particulier chinoise. Le programme de Trump est à cet égard très clair, si l’on se fie à « l’agenda 47 » publié sur son site internet – tel qu’analysé par la Deutsche Bank notamment. Ce programme prévoit des taxes universelles à l’importation, à hauteur de 10% sur tous les biens et services ; une augmentation des taxes à l’égard des pays qui en imposent aux Etats-Unis, afin d’atteindre un niveau réciproque ; un retrait du statut de « nation la plus favorisée » dont bénéficie la Chine, assorti de nouvelles taxes sur les importations à hauteur typiquement de 50 ou 60% ; ou encore la restauration de taxes sur les importations d’acier et de nouvelles taxes sur les produits européens, notamment sur les voitures – souvent allemandes.
Même s’il pourrait s’avérer difficile de faire voter toutes ces mesures par le Congrès, une partie d’entre elles pourrait être mises en œuvre, d’autant qu’elles s’inscrivent dans le droit fil de celles adoptées sous la présidence Trump en 2018-2019.
Du côté positif, ils peuvent espérer un mouvement de relocalisation de certaines industries et services, qui gagneraient mécaniquement en compétitivité. C’est le principal argument électoral : davantage d’industries locales, donc d’emplois. Les revenus fédéraux seraient en outre mécaniquement augmentés. En contexte de déficit budgétaire chronique, accompagné de taux d’intérêts élevés, cet argument pèse d’un grand poids. La Tax Foundation estime que 300 milliards de nouvelles taxes pourraient ainsi être collectés par an.
Mais rien n’est gratuit : les conséquences négatives du protectionnisme ne sauraient être évitées. En premier lieu, un regain d’inflation serait inévitable, dû aux taxes affectant les biens et services importés. L’inflation serait subie soit par les producteurs américains eux-mêmes, lorsqu’ils recourent à des importations, soit par les consommateurs de biens importés. En outre, une concurrence amoindrie par la pénalisation des entreprises étrangères laisserait davantage de marge de manœuvre aux entreprises locales pour monter leurs prix. Elles n’auraient d’ailleurs pas forcément le choix, puisque le coût du travail américain est nettement supérieur à celui de la plupart de ses partenaires commerciaux. Naturellement, les pays visés ne resteraient pas sans réagir. Ils pourraient créer leurs propres taxes sur les importations, affaiblissant les exportations américaines, et renforçant de ce fait la spirale inflationniste. Enfin, le dollar pourrait se voir renforcé, puisque le flux de dollars sortant du pays serait a priori réduit. Les exportations américaines, certes peu significatives à l’échelle du PIB, seraient là encore affectées.
Il ressort de ces projections que la mise en œuvre éventuelle du programme de Trump affecterait profondément l’économie mondiale. Certes, la relocalisation d’une partie de l’économie pourrait bénéficier aux travailleurs américains – cela dit, jouissant pour le moment d’un niveau de chômage faible, ils n’ont pas particulièrement besoin de bouée de secours. Mais surtout, en tant que nation de consommateurs, le pays serait confronté à davantage d’inflation, et se verrait probablement pénalisé en tant qu’exportateur. Donc moins de croissance et davantage d’inflation… le coût du protectionnisme n’est pas négligeable. Les électeurs sont-ils prêts à le payer ? Réponse le 5 novembre 2024.
Rédaction achevée le 3 juin 2024
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