Par Olivier de Berranger, CEO et co-CIO, La Financière de l’Echiquier
« Avons-nous tordu le cou à l’inflation ? Pas encore. Sommes-nous en bonne voie pour le faire ? Oui. ». Par l’une de ces métaphores dont elle a le secret, Christine Lagarde a ainsi souligné la confiance accrue de la Banque centrale européenne (BCE) dans la décrue rapide de l’inflation en zone euro. Il faut dire que les dernières données sur le front des prix à la consommation sont plus que rassurantes. En septembre, ceux-ci ne progressaient que de 1,7% sur un an, le chiffre le plus bas depuis avril 2021 et, symboliquement, la première fois que le seuil de 2% est franchi à la baisse en plus de 3 ans. Certes, à 2,7% en glissement annuel, l’inflation sous-jacente reste un peu élevée, portée par les prix des services, toujours en progression de 3,9% sur un an. Mais les tendances récentes sont clairement orientées à la baisse et la composition de cette inflation est par ailleurs rassurante. En effet, l’inflation des biens et services dont les prix sont administrés – selon la définition d’Eurostat, dont les prix sont fixés ou influencés par les gouvernements – reste élevée, à 4,5%. Mais l’inflation des biens et services alimentée essentiellement par l’équilibre offre/demande a, pour sa part, nettement reflué, tombant à 1,5%. Or, c’est bien cette inflation issue des variations de prix sur les marchés libres que la BCE a prioritairement pour mission de contrôler. Il est donc logique que Christine Lagarde affiche une certaine assurance et qu’elle ait même évoqué des risques sur l’inflation dorénavant orientés à la baisse.
En parallèle, la présidente de la BCE a souligné les nombreuses données récentes pointant vers une dégradation de la dynamique de croissance, précisant que ce contexte affectait les perspectives d’inflation, là encore dans une direction plutôt baissière. Autant d’éléments qui ont poussé le Conseil des gouverneurs à décider d’une nouvelle baisse des taux de 0,25% à l’issue de la réunion du 17 octobre, scénario qui paraissait bien peu probable il y a encore un mois. Pour autant, et bien que l’on puisse raisonnablement tabler sur des baisses graduelles lors des prochaines réunions, la BCE n’a guère fait évoluer son discours sur la trajectoire future sa politique monétaire. Elle s’en tient toujours à sa rhétorique de « dépendance aux données » et n’a livré aucune indication sur le rythme de l’assouplissement monétaire à venir, surtout pas sur une possible accélération. Pourtant, Christine Lagarde a souligné qu’à ce stade, la politique monétaire restait restrictive et qu’elle le serait d’ailleurs encore après cette baisse des taux d’octobre. Le tout alors que l’inflation ralentit plus vite que prévu par la BCE elle-même et que les perspectives de croissance, déjà médiocres, continuent de se dégrader.
Indubitablement, la croissance dans la zone euro a besoin de soutien, alors que l’Allemagne présente un risque élevé de retomber en récession technique au 3e trimestre et que les perspectives de croissance en France, vont être largement amputées par les mesures annoncées dans le projet de budget 2025 du gouvernement Barnier. De plus, le mouvement d’assouplissement monétaire est à présent mondial, ce qui limite sensiblement le risque de dévaluation de la devise européenne. Il est d’ailleurs frappant de constater que si la Réserve fédérale américaine (Fed) procède à une baisse de taux de 0,25% lors de sa réunion de début novembre, alors elle aura autant baissé ses taux que la BCE (0,75% en tout). La croissance américaine devrait être supérieure à 2,5% en 2024 et rester proche de 2% en 2025 – si l’emploi ne ralentit pas davantage – pendant que celle de la zone euro ne devrait pas dépasser 0,7% cette année et atteindre péniblement 1% l’année prochaine.
Certes, on pourrait arguer que, contrairement à la Fed ou à d’autres banques centrales, la BCE ne dispose pas explicitement d’un mandat de soutien à la croissance ou à l’emploi. Néanmoins, elle a tout de même pour ligne directrice, sans porter atteinte à la stabilité des prix, de soutenir les objectifs de l’Union monétaire, parmi lesquels la croissance. De plus, Christine Lagarde a souligné elle-même, assez habilement, que la dégradation des perspectives de croissance pouvait influer à la baisse sur l’inflation. Autrement dit, risquer de porter l’inflation à un niveau trop bas, ce qui justifierait alors une action de la BCE. Fondamentalement donc, la BCE a toutes les cartes en main pour accélérer le rythme de son assouplissement monétaire dès à présent. Seuls un excès de prudence vis-à-vis de l’inflation et, plus probablement, la difficulté à faire accepter une telle éventualité aux membres les plus orthodoxes de la BCE pourraient freiner la banque centrale. Les leçons de l’Histoire devraient pourtant servir de rappel aux plus réticents. Les atermoiements, les erreurs et les mauvaises calibrations de la politique monétaire entre 2008 et 2011 ont en effet couté cher lors du précédent cycle, aboutissant à une « décennie perdue » pour la zone euro : son PIB n’a cru que de 13% entre 2010 et 2019, quand celui des Etats-Unis progressait de 26%. La BCE serait bien inspirée de se souvenir de cette séquence car selon la célèbre maxime, parfois attribuée à Sénèque : « Errare humanum est, perseverare diabolicum[1]».
[1] « L’erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique »
Rédaction achevée le 18 octobre 2024
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