Lors de son discours au 19e Congrès du Parti Communiste Chinois en octobre, le Président chinois Xi Jinping a eu recours 59 fois au mot innovation. Bien que les médias aient fait grand cas de ces déclarations, l’accent mis par la Chine sur l’innovation n’est en rien nouveau. Au cours des 30 dernières années, l’innovation a été une priorité absolue dans tous les plans quinquennaux avec pour résultat que le pays a réussi à créer un écosystème d’innovation.
L’innovation est d’autant plus urgence que la Chine doit faire face à des changements structurels majeurs. Il y a le vieillissement de la population et la diminution de la main-d’œuvre. La consommation intérieure devrait aussi prendre plus de place face aux exportations. Pour atteindre un niveau de prospérité modérée au milieu du siècle, la Chine devra aussi résoudre ses problèmes environnementaux, améliorer la qualité des aliments, réduire les disparités de revenus et poursuivre la réduction de la pauvreté. Deux voies sont offertes à la Chine : accroître la productivité avec une main-d’œuvre plus réduite, ce qui signifie un accent encore plus prononcé sur l’innovation ; et un nouvel engagement à l’étranger (notamment à travers l’initiative One Belt One Road).
La création d’un écosystème d’innovation en Chine implique de transformer les avantages compétitifs futurs. Il faut passer d’actifs en place (une main-d’œuvre à faible coût) à des actifs à créer, i.e. de la propriété intellectuelle. La Chine a construit un tel système pendant des années, en mettant un accent particulier sur la recherche et le développement (R&D). Le pays consacre aujourd’hui 2% de son PIB à la R&D (soit un peu plus que l’UE). La Chine s’enorgueillit maintenant de publications scientifiques dans de nombreux domaines technologiques, ainsi que de ses dépôts de brevets. Son initiative la plus récente, «Made in China 2025», vise à transformer l’industrie manufacturière, à l’aide de technologies innovantes, en produits et services à plus forte valeur ajoutée.
L’écosystème chinois d’innovation prend corps à travers de nombreux parcs scientifiques et techniques, des universités et des institutions gouvernementales, ainsi que de grands centres industriels soutenus par les gouvernements centraux et locaux. Avec ce soutien substantiel, les entreprises chinoises ont traversé trois phases dans le développement de leurs capacités d’innovation. Au cours de la première phase, elles ont copié des produits et des technologies d’autres pays, produisant des produits indispensables pour le marché mal desservi de la Chine. Cependant, sous la pression d’une demande intérieure importante et en rapide évolution, les entreprises ont adopté une production «adaptée à leurs besoins». Cette phase a été suivie par l’atteinte des normes mondiales de qualité dans de nombreux domaines tels que les télécommunications, les chemins de fer à grande vitesse, les plates-formes d’information, l’informatique et la téléphonie mobile.
Les entreprises chinoises ont récemment entamé une troisième phase de développement dans laquelle elles pénètrent activement des domaines allant de l’industrie manufacturière aux services financiers, en passant par les télécommunications. Des entreprises aussi diverses que Huawei, Haier, Geely, Sany, Lenovo, Dongfeng Motors et Goodbaby sont actives dans les acquisitions, principalement en Europe. L’entrée se fait le plus souvent par acquisition, cherchant à acquérir des parts de marché, des marques et des technologies pour remplir leurs portefeuilles, mais il y a aussi des investissements organiques dans des centres de R&D.
Dans cette phase, les entreprises chinoises contestent les positions établies des multinationales occidentales. Elles ont particulièrement bien réussi dans les secteurs axés sur la clientèle et les secteurs axés sur l’efficience, mais elles ne sont pas encore solides dans des domaines scientifiques ou d’ingénierie, ou encore dans l’intégration de systèmes et les services tels que la santé, l’assurance, l’assainissement, la qualité de l’alimentation, et la sécurité.
Les multinationales étrangères doivent réagir. Il suffit de regarder la rapidité avec laquelle les scientifiques chinois ont pris la tête dans de nombreux domaines de la médecine et de la biotechnologie pour se rendre compte qu’il n’y a pas de zone exempte de concurrence.
Dans notre livre, Le prochain avantage stratégique de la Chine: de l’imitation à l’innovation, mon collègue George Yip et moi-même soutenons que les multinationales doivent être fortement présentes en Chine pour faire face à cette nouvelle vague de concurrence. Elles doivent comprendre les consommateurs exigeants de la Chine dans ce qui, pour de nombreuses industries, est le plus grand marché du monde. Ces consommateurs sont jeunes, inconstants, sophistiqués et souvent précurseurs des conditions changeantes du marché mondial. De plus, en affrontant les concurrents acharnés de la Chine sur leur propre territoire, aussi difficile que cela puisse être, ils peuvent développer des capacités qui leur seront bénéfiques à l’échelle mondiale.
Ces capacités comprennent l’expérimentation audacieuse et le test rapide de prototypes ; la création de nouvelles catégories de produits ; un accent sur la «lean value» ; l’adaptation de leurs produits aux demandes changeantes des clients ; et l’utilisation de la Chine comme un banc d’essai pour le développement d’équipes diverses de leaders mondiaux. Pendant de nombreuses années, la Chine a appris de l’Occident. Ce pays a maintenant beaucoup à nous apprendre, pourvu que nous soyons disposés à apprendre.
A propos de l’auteur
Professor Bruce McKern, Professeur adjoint, University of Technology, Sydney ; précédemment Professeur et Co-Directeur du Centre on China Innovation, China Europe International Business School, Shanghai.