Par Olivier de Berranger, CEO et co-CIO, La Financière de l’Echiquier (LFDE)
Un PIB en croissance de près de 2,5% en 2024, un taux de chômage à seulement 4,1%, une inflation revenue sous les 3%, des marchés américains qui enchaînent les records… à première vue, le bilan économique de l’administration Biden plaidait en faveur de la candidate Démocrate à l’élection présidentielle américaine. Pourtant, c’est bien l’économie qui semble avoir été l’un des principaux artisans de la défaite de Kamala Harris. Plus précisément, l’inflation, ou plutôt, le niveau des prix. En effet, si l’inflation au sens strict, c’est-à-dire le rythme d’accroissement des prix à la consommation, a nettement reflué depuis plusieurs mois, les prix à la consommation n’en ont pas moins progressé de plus de 20% en 4 ans. Ils dépassent de près de 15% le niveau qu’ils auraient atteint si l’inflation était restée sur sa tendance pré-Covid. Cette réalité, régulièrement rappelée lors de la campagne, notamment par le camp Trump pour fustiger le bilan des Démocrates, pèse incontestablement sur le moral des ménages. Dans la dernière enquête de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan, 40% des sondés attribuent la dégradation de leur situation financière au niveau des prix, l’un des pourcentages les plus élevés depuis la fin des années 1970.
Ainsi, tandis qu’une partie de l’état-major Démocrate tentait de résumer l’élection à un référendum sur des questions sociétales, c’est bien le slogan de James Carville, conseiller économique de Bill Clinton en 1992, qui paraît s’être de nouveau appliqué. Le rôle de l’économie sur le plan politique ne devrait pas s’arrêter là. Après avoir en partie décidé du sort des élections, l’économie pourrait peser sur les marges de manœuvre du nouveau locataire de la Maison Blanche.
D’un point de vue strictement politique, le 47e président des Etats-Unis disposera d’une grande latitude. En ayant remporté haut la main le vote populaire, repris le Sénat et étant, à cette heure, en bonne voie pour conserver la majorité à la Chambre des représentants, Donald Trump devrait réaliser un grand chelem débouchant sur une légitimité politique forte. De plus, alors que le caractère inattendu de sa victoire de 2016 avait permis aux caciques du parti Républicain de s’emparer de nombreux postes clés et de canaliser quelque peu ses velléités les plus exubérantes, Trump est à présent entouré d’un aéropage acquis à ses idées. Les garde-fous politiques paraissent donc nettement moins importants pour ce second mandat.
C’est bien l’économie et, par ricochet, les marchés financiers qui pourraient endosser le rôle de vigie. Sur le plan de la croissance, si la nouvelle baisse annoncée de l’impôt sur les sociétés aura un impact positif, les hausses des droits de douanes et, plus marginalement, les expulsions massives de travailleurs immigrés illégaux risquent de s’accompagner d’effets récessifs. Dans un contexte de dégradation du marché de l’emploi et du moral des PME, ainsi que d’assèchement des réserves de consommation de la plupart des ménages – à l’exception des plus aisés – de tels effets secondaires pourraient limiter le soutien de telles mesures parmi les Républicains.
Surtout, l’accroissement drastique du déficit budgétaire qu’entraînerait l’application intégrale du programme de Donald Trump pourrait se heurter à la résistance du marché obligataire, à l’image du phénomène des Bond Vigilantes[2] dans les années 1990. Entre fin 1993 et fin 1994, l’action de ces investisseurs obligataires opposés à une politique fiscale trop dépensière avait provoqué l’envolée du 10 ans américain, passé de 5,2 à plus de 8%. L’administration Clinton avait alors été contrainte de prendre des mesures pour réduire le déficit budgétaire. Plus récemment, en 2022, le gouvernement britannique de Liz Truss s’est heurté à la résistance du marché obligataire, lors de la présentation de son projet de budget. Le 10 ans britannique avait bondi de 3 à 4,5% en quelques jours, entraînant une intervention de la banque d’Angleterre et la révocation du ministre des Finances. On ne peut exclure un tel scénario aux Etats-Unis, alors que les taux d’intérêt se sont nettement tendus ces dernières semaines, en raison notamment de l’accroissement de la prime de terme – le rendement supplémentaire exigé par les investisseurs pour détenir une obligation à long terme.
Ainsi, après avoir en bonne partie décidé du sort de l’élection présidentielle, l’économie et les marchés devraient continuer à peser sur la vie politique américaine. Ils pourraient constituer le contre-pouvoir le plus efficace à une politique de Donald Trump dont les conséquences sont très incertaines.
Rédaction achevée le 08.11.2024 – Enguerrand Artaz, Fund Manager, LFDE
[1] James Carville
[2] Terme utilisé pour qualifier des investisseurs qui, pour s’opposer à une politique fiscale et/ou monétaire jugée déraisonnable, vendent massivement des obligations, générant ainsi une forte hausse des taux susceptible de forcer les décideurs politiques à revoir leur copie.
Rédaction achevée le 8 novembre 2024
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