Par Michel Saugné, récemment nommé CIO La Financière de l’Echiquier
Plus forte baisse du taux américain à 10 ans depuis le stress de début août 2024, plus forte détente du taux allemand à 10 ans depuis la mi-juin, envolée de 3,7% des 7 Magnifiques, une des plus fortes hausses quotidiennes de ces deux dernières années… à scruter les réactions de marché après la publication de l’inflation américaine pour le mois de décembre, on pourrait légitimement s’attendre à une excellente surprise sur les chiffres, à même de changer radicalement le narratif sur l’inflation. Pourtant, si bonne surprise il y a bien eu, celle-ci s’est révélée des plus marginales. L’inflation totale a été publiée à 2,9%, strictement en ligne avec les attentes du consensus. Quant à l’inflation sous-jacente, elle est ressortie à 3,2% contre 3,3% anticipé – en réalité, 3,248%, tout proche donc d’être arrondi à 3,3%.
Comment expliquer alors une réaction aussi épidermique de la part des marchés face à une surprise aussi ténue ? Cela a essentiellement trait à l’extrême sensibilité des investisseurs, en particulier obligataires, qui s’est peu à peu développée depuis l’automne, en parallèle à une forte remontée des taux d’intérêt. Entamé par les perspectives de victoire de Donald Trump et d’application d’un programme jugé inflationniste, amplifié par son large succès à l’élection présidentielle puis relayé par le ton restrictif de la Réserve fédérale (Fed) à l’issue de sa réunion de mi-décembre, ce mouvement a culminé avec la publication début janvier d’un très solide rapport sur l’emploi américain. Entre temps, les investisseurs ont révisé leurs anticipations de baisse des taux de la Fed pour 2025, de 6 à moins de 2. Et le taux américain à 10 ans était passé de 3,6% mi-septembre à 4,8% mi-janvier. Une hausse spectaculaire qui a traduit le retour de la question inflationniste au cœur des préoccupations.
Pourtant, si l’on observe froidement les chiffres d’inflation, il est difficile d’y déceler motif à une telle tension. Certes, alors qu’elle est entrée dans sa dernière phase, la désinflation a vu son rythme ralentir, avec des hausses de prix un peu plus élevées entre août et novembre. Toutefois, les tendances sous-jacentes, qui n’ont guère varié, restent favorables. L’inflation du logement, la plus grande part de l’inflation résiduelle mais dont la prise en compte est très décalée dans le temps, continue de décroître. Même constat pour le principal point d’attention de la Fed ces derniers mois, les services hors logement, dont la hausse des prix continue de ralentir. Quant au léger surcroît d’inflation des derniers mois, il a essentiellement été alimenté soit par des composantes structurellement volatiles (billets d’avions, habillement), soit par des rebonds ponctuels, notamment des prix des véhicules d’occasion, après une longue phase de baisse. A ce titre, l’inflation du mois de décembre, perçue comme extrêmement positive par les marchés, n’apporte pas de changement à ces constats. En somme, la désinflation se poursuit aux Etats-Unis, un peu plus lentement mais non moins sûrement.
Au fond, cette séquence traduit surtout le poids de la psychologie des investisseurs sur la perception des données économiques et, plus sûrement encore, le poids des discours sur la psychologie des investisseurs. C’est le cas du discours de Donald Trump, bien sûr, avec l’accent mis sur la hausse des droits de douane, l’expulsion massive de travailleurs immigrés ou encore une nouvelle baisse de l’impôt sur les sociétés, des mesures phares perçues comme étant susceptibles de relancer la dynamique inflationniste. C’est également le cas du discours de Jerome Powell qui, à l’issue de la réunion de la Fed de décembre, traduisait la confiance amoindrie sur la poursuite de la désinflation d’une banque centrale inquiète des effets de la politique du nouveau Président. Inquiète au point de les intégrer dans ses prévisions économiques – alors que le flou persiste sur les mesures qu’adoptera la nouvelle administration.
Sans oublier, enfin, le récent discours de Christopher Waller, membre du Conseil des gouverneurs de la Fed. Habituellement classé du côté des « faucons »[1], l’ancien vice-président de la Fed de Saint-Louis a tenu des propos particulièrement accommodants, jugeant possible que la Réserve fédérale baisse jusqu’à 4 fois ses taux en 2025, sans exclure une baisse des taux lors de la réunion de mars. Ce qui a amplifié le mouvement de détente sur les marchés obligataires initié par la bonne surprise sur l’inflation. Quelques jours plus tôt, il s’était montré confiant sur la poursuite de la désinflation, et jugeait que la politique de tarifs douaniers de l’administration Trump n’aurait que peu d’effet sur l’inflation. Eu égard à l’influence de Christopher Waller au sein de la Fed, on ne peut exclure qu’il s’agisse là d’une forme de ‘’service après-vente’’ de la part de la banque centrale, soucieuse du niveau atteint et de la trajectoire empruntée par les taux longs afin de faire renouer les marchés avec une forme de rationalité.
Pour l’investisseur, cette séquence a valeur de rappel. Les discours de personnalités influentes – dirigeants politiques, banquiers centraux… – et les variations de la psychologie des marchés créent une volatilité de court terme, dont on peut chercher à profiter. A plus long terme toutefois, la réalité économique – dans le cas présent, la poursuite de la désinflation – finit généralement par agir comme une force de rappel pour corriger les excès. De quoi aider à garder le cap face à des réactions de marchés régulièrement exubérantes.
[1] Terme utilisé pour qualifier un banquier central favorable à une politique monétaire restrictive, par opposition aux « colombes », privilégiant une politique monétaire accommodante.
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Rédaction achevée le 17 janvier 2025
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