Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier
589 milliards de dollars d’abord. Soit la baisse de valorisation boursière dans la journée du 27 janvier qui a affecté Nvidia, la valeur star de l’intelligence artificielle (IA). Sans qu’un rebond significatif s’esquisse les jours suivants. Pourquoi un tel mouvement ?
La société d’IA chinoise Deepseek, dont l’agent conversationnel était jusque-là connu d’un cercle restreint d’initiés, s’est invitée en tête de la plupart des classements d’applications mobiles comme des médias en un éclair. Si cette application fait tant parler, c’est pour plusieurs raisons singulières : elle est chinoise, open source – son code informatique est transparent et modifiable – mais surtout, elle tutoie les performances des modèles stars d’AI développés par OpenAI, Meta, Google ou encore Microsoft, et ce, pour un coût de développement et d’utilisation a priori nettement inférieur.
La qualité d’un modèle de langage de grande taille (ou LLM) dépend de 3 grands facteurs : le volume de données disponibles, la capacité de calcul et la qualité de l’algorithme. Malgré les restrictions américaines sur l’export de semi-conducteurs, Deepseek réussit à concurrencer les meilleurs LLM en innovant sur l’algorithme. Même s’il reste de nombreuses questions en suspens, notamment sur l’éventail des données utilisées et le respect du droit d’auteur, cet évènement permet de tirer quelques enseignements macroéconomiques et financiers.
Ce n’est pas forcément la taille qui compte. Les géants américains n’ont jusqu’ici cessé de rivaliser en termes d’investissement dans la puissance de calcul, dont le pharaonique projet américain Stargate à 500 milliards de dollars. Mais la Chine nous rappelle ici, qu’une des caractéristiques indissociables de son succès économique depuis son adhésion à l’OMC, est sa capacité à produire à moindre coût dans des marchés toujours plus complexes. D’abord dans le textile, puis dans l’industrie jusqu’aux voitures électriques. Et aujourd’hui dans l’IA ?
L’avènement de Deepseek marquera sans doute une rupture nette, puisque l’IA pouvait être considérée comme un marché inflationniste dans sa structure. Avec une matière première rare et chère, les puces électroniques de pointe constituent un monopole pour Nvidia, et les modèles d’IA constituent le pré carré de quelques géants de la tech, donc un oligopole. Aujourd’hui, les barrières à l’entrée des modèles d’IA semblent s’abaisser et rendront la concurrence plus féroce. Jusqu’à tirer les prix vers le bas ? Ce serait une bonne chose pour la démocratisation de cette technologie – l’effet volume -, mais sans doute une moins bonne pour la rentabilité des acteurs qui ont déjà dépensé des milliards d’investissement.
Ce Deepshift pourrait donc à la fois constituer un virage désinflationniste, à un moment où l’inflation reste un sujet de préoccupation pour les banquiers centraux. Il pourrait aussi être un accélérateur de gains de productivité, au moment où la croissance potentielle diminue dans bon nombre de régions du monde. Enfin, pour les entreprises, il devrait être un vecteur de partage plus large de la valeur ajoutée, notamment pour celles qui adoptent cette technologie ou offrent des produits basés sur celle-ci.
Rédaction achevée le 31 janvier 2025
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