La décision de la Société générale de surveillance (SGS), leader mondial de l’inspection et de la certification, de déplacer son siège social de Genève à Zoug a envoyé une onde de choc à travers la place économique suisse. Fondée en 1878 et établie à Genève depuis 1915, cette multinationale employant près de 100 000 personnes dans le monde incarne l’esprit entrepreneurial et international de la cité de Calvin. Son départ, annoncé après des mois de spéculations, soulève des questions profondes sur la capacité du gouvernement genevois à relever les défis économiques du XXIe siècle.
Le Conseil d’État genevois a exprimé ses regrets, mais force est de constater que cette réaction arrive trop tard. Le dossier était sur la table depuis des mois, et aucune mesure proactive n’a été prise pour retenir SGS. Cette passivité interpelle, d’autant plus que Genève traverse une période de turbulences économiques. Les secteurs qui ont porté son essor ces dernières décennies – la finance, le trading, les organisations internationales – sont sous pression. La concurrence des places financières européennes et asiatiques, les changements réglementaires et les défis géopolitiques fragilisent un écosystème déjà vulnérable. Dans ce contexte, la perte d’une entreprise comme SGS, dont le chiffre d’affaires avoisine les 7 milliards de francs suisses, est un coup dur. Le canton de Zoug, quant à lui, a su séduire SGS par son environnement fiscal compétitif, sa stabilité politique et sa réputation de facilité administrative. Avec un taux d’imposition des entreprises parmi les plus bas de Suisse, Zoug attire depuis des années des multinationales et des fortunes privées. Cette stratégie proactive contraste avec l’immobilisme genevois, où les lourdeurs bureaucratiques et les débats politiques stériles semblent freiner l’innovation et la compétitivité.
Le départ de SGS n’est pas un incident isolé, mais le symptôme d’un malaise plus profond. Depuis le début de la législature actuelle (le 1er juin 2023), les observateurs pointent du doigt un manque de vision et d’ambition de la part des autorités genevoises. Alors que les défis s’accumulent – diversification économique, transition écologique, renforcement de l’attractivité –, les actions concrètes se font rares. Certains n’hésitent pas à qualifier l’attitude du gouvernement de laxiste, voire de complaisante, comme si Genève pouvait se reposer sur ses lauriers sans anticiper les mutations du monde économique. Pourtant, les atouts de Genève restent indéniables : une localisation stratégique au cœur de l’Europe, un réseau dense d’organisations internationales, une main-d’œuvre hautement qualifiée et une qualité de vie enviable. Mais ces avantages ne suffisent plus à compenser ses handicaps structurels.
Sur le plan économique, le départ de SGS pourrait avoir un effet domino. Les entreprises sont sensibles aux signaux envoyés par leurs pairs, et la décision de SGS pourrait inciter d’autres sociétés à envisager un déménagement. Par ailleurs, la perte de recettes fiscales liées à une telle entreprise n’est pas anodine, surtout dans un contexte où les finances publiques genevoises sont déjà sous tension. Sur le plan géopolitique, ce départ soulève des questions sur le positionnement de Genève dans un monde en mutation. Alors que les rivalités entre places économiques s’intensifient, Genève doit redéfinir sa stratégie pour rester pertinente. Les organisations internationales, longtemps pilier de son attractivité, ne suffisent plus à garantir son rayonnement. La concurrence des villes comme Zurich, Luxembourg ou même Dubaï oblige Genève à innover et à se réinventer. Mais qui, pour faire ce travail ?
À l’heure où les équilibres économiques mondiaux sont bouleversés, Genève ne peut plus se permettre de rester passive. Le temps est venu de passer des regrets à l’action, avant que d’autres fleurons ne suivent l’exemple de SGS. Car, au-delà des enjeux économiques, c’est l’attractivité même de Genève qui est en jeu. Une attractivité qui ne se mesure pas seulement à l’aune de son passé glorieux, mais aussi à sa capacité à s’adapter aux réalités d’un monde en mutation rapide. Pourtant, on peut légitimement se demander si certains acteurs politiques du canton de Genève en ont véritablement quelque chose à faire. Alors que les défis s’accumulent, certains semblent attendre paisiblement la fin de leur mandat, se contentant de discours convenus, de promesses creuses et de serrer les mains lors des manifestions. Lors de l’année électorale, ces politiciens viendront, une fois de plus, nous expliquer ce qu’ils feront pour Genève au cours des cinq prochaines années… s’ils sont réélus.
Mais en attendant, les entreprises partent, les défis s’aggravent, et l’urgence d’agir devient chaque jour plus criante. Genève mérite mieux que cette inertie.
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