Par Michel Saugné, CIO, La Financière de l’Echiquier
Même à l’heure des IA les plus créatives, imaginer Donald Trump sous les traits d’un sage bouddhiste requiert une imagination fertile.
Pourtant, par son action depuis les premiers jours de son mandat, le Président américain a rappelé au monde l’un des concepts fondateurs de cette philosophie : anicca, l’impermanence. De déclarations intempestives en décrets éruptifs, en imposant des droits de douane à ses plus proches partenaires pour ensuite les suspendre, Trump impose au monde – et aux marchés – l’instabilité et l’éphémère de chaque situation
Les scénarios de marchés qui prévalaient en début d’année s’en trouvent balayés, tels des mandalas de sable. L’exceptionnalisme américain, qui brillait depuis 2 ans et dont il était consensuel d’imaginer qu’il se poursuive, a du plomb dans l’aile. Plombé par un effondrement de la balance commerciale – lui-même causé par une envolée des importations en prévision de l’augmentation des droits de douane – la croissance américaine devrait fortement ralentir au moins au 1er trimestre. L’incertitude politique déprime la confiance des entreprises et des ménages. Le marché de l’emploi se fragilise à nouveau, notamment en raison des coupes d’emplois publics menées par le DOGE d’Elon Musk. Un désalignement d’étoiles qui ne laisse pas les marchés insensibles. A -2,2% depuis le début de l’année, le S&P 500 sous-performe la plupart des indices actions mondiaux.
A l’inverse, l’Europe, sur laquelle bien peu d’investisseurs entretenaient encore le moindre espoir en début d’année, est revenue au centre de toutes les attentions. Et pour de bonnes raisons, pour une fois. Un plan de 800 milliards d’euros d’investissements dans la défense au niveau européen, une relance budgétaire allemande plus rapide et substantielle qu’anticipé avant les élections fédérales de février, une stabilité politique retrouvée – au moins temporairement – en France. Si les statistiques macroéconomiques restent médiocres à ce stade sur le Vieux continent, ces belles éclaircies des perspectives ont amené les investisseurs, échaudés par l’instabilité américaine, à reconsidérer l’Europe comme terre d’investissement. Et les marchés européens, portés par le secteur de la défense, de caracoler en tête des classements, avec un EuroStoxx en hausse de 12,8%1 depuis le début de l’année.
Sur la politique monétaire également, les certitudes se sont envolées. En début d’année, les marchés n’anticipaient qu’une seule baisse des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) en 2025. L’hypothèse que la Fed ne touche pas à ses taux directeurs cette année était sur la table de nombreux observateurs, et d’aucun n’imaginait même un risque de hausse. Quelques semaines plus tard, face aux risques sur la croissance américaine, ce sont 3 baisses qui sont désormais anticipées par les investisseurs. Du côté de la BCE, le chemin semblait tout tracé, avec des baisses de taux continues, au moins jusqu’à la fin du 1er semestre. Mais le ‘’bazooka‘’ budgétaire annoncé par l’Allemagne, et la hausse des perspectives de croissance qu’il implique, font à présent douter les investisseurs – ainsi que les banquiers centraux eux-mêmes. Une pause dans l’assouplissement monétaire lors des prochaines réunions semble désormais crédible.
En termes de leadership sur les marchés, tout a également changé. L’Europe, honnie il y a quelques mois, suscite l’appétit de acteurs de marché. Alors que les 7 Magnifiques, ces géants américains de la technologie qui ont fait la pluie et le beau temps sur les marchés pendant près de deux ans et demi, se retrouvent aujourd’hui en queue de peloton, avec une baisse de près de -11%1 depuis le début de l’année.
Dans cet environnement marqué par l’instabilité, il est certes nécessaire pour les investisseurs de savoir s’adapter. Mais aussi, de mettre en œuvre un autre concept fort du bouddhisme : upekkhā, l’équanimité. Face à l’impermanence, l’équanimité permet d’éviter les réactions émotionnelles exacerbées et de considérer toute chose d’un œil égal. Sur les marchés, cela revient à considérer froidement chaque situation, pour y déceler les risques et les opportunités, tout en gardant à l’esprit que tout peut changer demain.
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Opinion rédigée le 7 mars 2025
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