Elle ne convainc pas tout le monde, et pourtant la loi sur le prix unique du livre, adoptée au début du mois de Mars, semble nécessaire. Elle permet d’harmoniser une fois pour toutes le prix d’un produit, le livre, qui subissait les fluctuations du marché suisse à l’instar de n’importe quelle autre marchandise.
Au bout de plusieurs années de débats et de discussions, le parlement a entériné une loi pour convenir d’un prix unique du livre. Cette querelle de papier buvard dure depuis trop longtemps pour qu’on ne la prenne pas au sérieux…
Le consommateur a bien compris que le livre n’est pas un produit comme un autre. La différence entre les prix pratiqués en Suisse et ceux de ses voisins européens (un livre acheté en Suisse romande est en moyenne 30% voire 40% plus cher qu’en France), comme la question de la marge que s’attribuent les diffuseurs, a mis en lumière les limites d’un système inégal qui ne cesse de ponctionner les petits pour engraisser les gros. Rappelons qu’en dix ans, plus de 70 points de vente dédiés au livre ont disparu du paysage romand. Dans une période où, de plus, l’euro souffre de la comparaison avec le franc, le prix démesuré du livre en Suisse romande ne cesse d’interpeller…
Du rififi dans le monde du livre
Quand, dès 2001, les magasins Fnac ont déferlé sur le territoire romand, le marché est devenu féroce. La Fnac et Payot ont entamé des stratégies de dumping sur tous les produits d’appel… En cassant systématiquement les prix grâce aux importantes remises que leur concèdent les diffuseurs sur les gros tirages, les deux géants du livre ont accéléré la déroute des petites structures. En 2006, les petites librairies romandes vidaient symboliquement leur vitrine pour manifester leur mécontentement face à une situation inéquitable, et face au manque de détermination des parlementaires.
Nous voilà en 2011… Pour les professionnels du livre, l’étape franchie s’avère essentielle parce qu’elle défend tous les acteurs de la profession, depuis l’auteur jusqu’au libraire en passant par l’éditeur. Mais pour certains élus, le marché du livre doit s’auto-réguler et on doit le laisser vivre à sa guise, sans intervention extérieure.
Malgré le double aval du Conseil des Etats puis du Conseil national, le texte ne convient pas à la majorité des élus UDC et PLR. Leur argument principal tient dans la mainmise de l’Etat sur le secteur du livre, principe qui s’élève selon eux contre la trinité concurrence En proposant que les lois usuelles du marché s’appliquent à celui du livre, ils font fi du caractère singulier du livre.
La charte de l’Unesco
La Suisse a signé la charte de l’Unesco qui reconnaît au livre son caractère culturel, ce qui par conséquent doit l’affranchir des mécanismes commerciaux. Signataire mais contrevenante… L’initiative d’un prochain référendum que comptent lancer les élus UDC et PLR pour contrer la loi risque de repousser l’échéance de quelques années, mais au final ce ne serait que du temps de perdu, une fois de plus.
Après tout, c’est peut-être un petit peu poil à gratter, c’est bien vrai… que de se laisser envahir par des principes. Mais quand les élus de l’UDC et du PLR nous préviennent qu’avec le prix unique les prix des livres vont nécessairement augmenter, on tire l’oreille…
Certes, le prix du livre sera toujours plus élevé qu’à l’étranger, mais au moins peut-il être ramené dans des proportions plus raisonnables, quand chacun jusque-là fixait un peu le prix de son choix.
La Suisse est de plus un marché d’importation. Il est ridicule de parler de jeu de la concurrence pour des produits qui atteignent un certain plafond de rentabilité, comment dire… fugace, pour ne pas avouer que les livres ne seront jamais des produits de grande consommation.
Enfin, comment le prix du livre pourrait-il augmenter, puisqu’avec la nouvelle loi les marges des diffuseurs suisses seront dorénavant plafonnées ? Aucun élu UDC ou PLR ne s’est prononcé sur la question des marges, et pourtant, toutes les difficultés du libraire suisse proviennent de la fameuse tabelle de change des distributeurs suisses… Quant aux rabais accordés aux grands commerces, il est prévu qu’ils soient limités à 5% sur tous les nouveaux livres.
La France en exemple
En France la loi Lang sur le prix unique du livre fait ses preuves depuis 1981, et personne ne penserait la contester aujourd’hui. Elle a permis de défendre les petits acteurs du monde du livre et le foisonnement de l’édition française, tout en permettant aux livres à grand tirage de rencontrer un très large public… Le prix du livre en France est identique quel que soit l’espace de vente, chez la Fnac ou chez le petit libraire de quartier, et tout le monde s’y retrouve. Sans aucun risque de créer une forme de concurrence déloyale, le petit commerce continue à exister.
Si un panel de 150 personnalités du monde suisse du livre s’est prononcé pour ce prix unique, peut-être vaut-il la peine de se laisser porter par le mouvement de l’histoire au lieu de la prendre systématiquement à rebours ?
Faustin Rollinat/Rédacteur chez Le Monde Economique