Dès le début de l’ère industrielle, Noël est fêté dans l’intimité étroite des… jouets. La production accrue d’abord encore artisanale ensuite, notamment, industrielle (dans le sens plus moderne du mot) s’est alliée avec le récit évangélique des rois- mages apportant de précieux dons à l’enfant- Jésus pour conférer, chaque Noel, aux poupées, peluches et différentes figurines, une brillance, un relief et comme un semblant de vraie vie qu’ils n’ont pas dans le restant de l’année.

Leur semblant de vraie vie et leur déferlement sur l’imaginaire noélique, ces figures tridimensionnelles appelés jouets le doivent dans une grande mesure au conte musical Casse- Noisette du compositeur russe Piotr Tchaïkovski qui, dans une admirable paraphrase chorégraphique du récit fantastique d’E.T.A. Hoffmann de 1816, racontait les aventures de tout un petit monde de poupées et de jouets dans une nuit de Noël.

Il est intéressant de jeter un coup d’œil sur l’assortiment ludique à la veille de Noël, à l’époque des « Grands Magasins » : dans son numéro de décembre 1886, l’hebdomadaire français L‘Illustration vante « les nouveaux jouets à la mode » dont « la lanterne magique et le lamposcope, le singe harpiste, les nouvelles poupées que l’on croirait douées de vie, la mignonne bergère de Greuze, qui salue gracieusement tandis que de la corbeille qu’elle tient à la main émerge la tête d’une levrette belante. » (la référence est tirée de Histoire des jouets de Noel de M. Manson).

Une autre tête émerge déjà à cette même époque, celle de la figure- phare de notre modernité quelque peu infantile : le Père Noel, bien sûr. L’année 1876 est décisive pour ce grand personnage : dans sa version américaine de Santa Claus, il apparaissait dans l’un des premiers catalogues illustrés, en l’occurrence celui de F.A.O. Schwarz de New York qui le représentait sortant d’une cheminée et tenant dans la main la carte d’invitation du magasin pour l’exposition de Noël.

A cause de leurs prix plus bas, les grandes surfaces sont restées le lieu par excellence de l’achat de jouets. La moitié de la vente annuelle globale de ceux-ci est réalisée par les hyper- et les supermarchés. Mais si la préférence des consommateurs pour ces magasins s’exerce également dans le cas de d’autres catégories de biens commercialisés, pour celle des jouets et surtout à la veille de Noël, elle s’applique avec une force particulière et à la faveur d’une logique de consommation qui paraît spécifique à l’achat de cadeaux de Noël pour enfants : en effet, si les clients cherchent à payer les jouets à des prix plus bas, c’est pour pouvoir se les procurer en plus grand nombre.

Ici, la logique économique rejoint la logique psychologique : plusieurs paquets déposés au pied de l’arbre de Noël réjouissent l’enfant davantage qu’un seul paquet, même si celui-ci doit cacher le cadeau le plus désiré (et le plus souvent le plus cher) par le jeune destinataire. Ne serait-ce que du seul fait de leur nombre, des cadeaux moins désirés, moins sophistiqués et moins chers pourraient ainsi briller davantage au réveillon de Noël que l’article demandé avec le plus d’insistance quelques semaines ou quelques jours seulement auparavant dans la lettre préparée à l’attention du Père Noël.

Quant à cette fameuse lettre, elle représente à elle seule un intérêt tout particulier. En effet, elle apporte aux enfants l’occasion d’effectuer leurs premières négociations sérieuses, même si la table de ces négociations doit être souvent celle de la salle à manger et les interlocuteurs qu’il s’agit de convaincre …les parents, bel et bien.

Dans cette épreuve, les tout jeunes gens révèlent une étonnante capacité de conjuguer leur ferme et toute spirituelle croyance au Père Noël comme pourvoyeur ultime des cadeaux avec un début de réalisme économique qui leur fait entrevoir dans leurs propres parents les fournisseurs concrets et directs des biens tant désirés. Et lorsqu’on est sur le terrain des parents, les enfants prennent les choses en main et, avec tout leur respect pour Père Noël, Blanche- Neige et Rudolphe, commencent à parler prix, à comparer et à argumenter à n’en plus finir.

Dans ces premières négociations, nombre d’entre eux se distinguent comme de convaincants communicateurs, argumentateurs ainsi que comme de futurs consommateurs « éclairés » capables de comparer des prix et de s’exprimer sur la qualité des articles. Combiner si étroitement foi en Père Noël avec éveil de la conscience économique, c’est là une aptitude dont seuls les enfants ont le secret.

Mais ce n’est pas l’unique paradoxe du Noël commercial, qui tout en prétendant célébrer la naissance du Christ, transgresse allégrement au moins deux prescriptions bibliques. En effet, si l’on accepte d’envisager le testament chrétien dans sa continuité judaïque, on s’aperçoit vite que rien n’est plus opposé à son esprit authentique que cette fête si abondante en représentations tridimensionnelles humaines et animales et qui d’autre part fait tout pour paraître « magique ».

On le voit bien, l’avenir de cette industrie et de ce commerce- là s’annonce plus que radieux. Et comme dans ces jours-ci nous sommes intentionnellement ou par la seule vertu de l’événement devant la crèche du petit Jésus, pourquoi ne pas prédire aussi au marché des jouets de Noël … une bien glorieuse éternité ?

Caroline Baud/Rédactrice chez Le Monde Economique