Qu’allons-nous laisser à nos enfants et aux générations futures mis à part l’épuisement des ressources naturelles de notre planète, la désindustrialisation de nos régions ainsi que des villes, des cantons et des pays endettés ? Tant de gloire, de prestige, d’audace, d’inventivité, de clairvoyance, de créativité ont animé la culture, les arts, l’architecture, les civilisations. Des mains expertes ont façonné et décoré des ouvrages, des édifices, des cités, des partitions à travers les époques. Des esprits supérieurs ont conçu et construit des palais, des monuments, des temples, des citadelles, des chefs d’œuvre… Les projets de civilisation anciens ont illuminé les âges jusqu’à nos jours.
Aujourd’hui, où sont-ils ces esprits supérieurs et ces mains expertes pour poursuivre l’évolution positive de notre humanité ? Des voix sorties d’outre-tombe nous demandent de sortir à droite ou à gauche dans le sens de marche du train, de faire des turbo-siestes, de déneiger notre voiture avant de prendre la route, de trier nos déchets, de prendre un ticket pour faire la queue pour ci ou pour ça, de ne pas manger ni trop salé ni trop sucré, de ne pas faire preuve d’exubérance, de passion ni de trop d’initiatives, de nous en remettre à l’Etat, à Dieu ou à nous-mêmes pour notre survie sociale et professionnelle… Nous avons perdu le sens de l’Homme, et chaque jour qui passe, nous nous éloignons toujours un peu plus de lui au nom du progrès technologique, de l’ordre, de la sécurité et de la morale globalisés.
Nous avons des vestiges, des patrimoines, des musées et des œuvres que nous peinons à entretenir, à remplir et à faire perdurer. Nous existons sur les ruines de nos passés glorieux, sanglants, conquérants, et les âmes de visionnaires qui généraient des idées, des lois, de la richesse, des biens et des services pour mieux les faire fructifier et les redistribuer aux peuples ne sont plus. Nous avons cru au mythe du bonheur par la possession et couru après la chimère du tous égaux avec les mêmes droits, biens et moyens pour chacun. En vain, le brouillard se dissipe et laisse place à la cruauté, à la souffrance et aux inégalités. Des éléments qui pour beaucoup ont toujours été bien réels, même sous l’accumulation des crédits à la consommation et des emprunts immobiliers. Dans un monde où la transmission des traditions, des arts et du savoir artisanal rencontre l’immédiateté du virtuel, le vide de la pensée, l’absence de mot et l’urgence de l’acte, que laisserons-nous comme traces de la grandeur de notre conscience humaine dans 500 ans ?
Dans la Venise ancienne, le Collège était composé des Sages du Conseil, de Terre Ferme et des Ordres qui œuvraient de leurs voix délibératives pour une vision de la République. A notre époque, qui dirige qui ? La guerre des intérêts et des clans est légion dans les partis et entre les partis. Il y a des technocrates, des lobbies industriels et des financiers qui œuvrent pour le profit immédiat avec une inconscience singulière, des formules mathématiques et des statistiques. Ce sont eux les nouveaux maîtres de nos démocraties. A l’heure où il nous faudrait inventer un nouveau projet de civilisation, ils se jouent des politiciens et jouent avec eux sur le dos des peuples. Et il y a l’initiative Minder « contre les rémunérations abusives ». Peut-être que Thomas Minder et son initiative sont les prémices d’une sagesse qui nous a tant fait défaut depuis des décennies ?
Nicolas-Emilien Rozeau – Ecrivain & Chroniqueur pour le magazine Le Monde Economique