Interview de Barbara Steudler, Directrice et Co-fondatrice de NiceFuture

27 février 2013

Interview de Barbara Steudler, Directrice et Co-fondatrice de NiceFuture

Barbara Steudler, Directrice et Co-fondatrice de NiceFutureLe Monde Economique Barbara Steudler, à Lausanne, vous êtes directrice et co-fondatrice de NiceFuture (www.nicefuture.com). En quelques mots, qu’est-ce que NiceFuture ?

Barbara Steudler NiceFuture est une association à but non-lucratif active depuis 10 ans en Suisse romande avec pour but de démocratiser la notion de développement durable, dans son plus large sens.

Le Monde Economique Vous touchez à beaucoup de sujets (le bien-être, les guides du tourisme et de l’habitat durables, celui du shopping éthique, le manifeste pour la terre, le festival de la terre,…) n’avez-vous pas l’impression d’en faire trop et de perdre en clarté aux yeux du public ?

Barbara Steudler Le développement durable est un vaste domaine transversal qui englobe notre quotidien. Ce n’est pas un concept abstrait, c’est une nouvelle façon d’appréhender le monde et la vie. En choisissant plus de qualité et moins de quantité. Chaque projet a ses objectifs et son public. NiceFuture veut sensibiliser le plus grand nombre au développement durable d’une façon ludique, attrayante.

Cependant, chacun a des sensibilités, une histoire de vie, et sera plus touché par tel ou tel sujet. Il faut pouvoir parler à tout le monde, intéresser le maximum de personnes. On retrouve les enjeux de la durabilité dans tous les secteurs de notre vie. C’est une vraie approche systémique, un regard, une posture, un engagement.

Le Monde Economique Vous évoquez le terme de développement durable, mais pour Paul Ariès, le développement durable consiste à « polluer moins pour polluer plus longtemps ». Si on ne parle plus et on ne fait plus de développement durable, de quoi parle-t-on et vers quelle forme d’écologie et d’existence allons-nous ?

Barbara Steudler L’idéologie de la croissance est évidemment un mensonge absolu et une absurdité. En général, aujourd’hui, je n’utilise plus le terme « développement durable », mais plus simplement celui de « durabilité ». Et derrière les mots, se cache une grande complexité : de quel de vie et de société parlons-nous ? Il n’y a pas de réponse toute faite. Face à l’empilement des crises (biodiversité, climat, énergie, déséquilibre nord-sud, ressources) que nous vivons et qui vont s’accentuant, il est évident que nous devons entrer immédiatement dans une transition écologique.

Mais, comment entrer dans cette décroissance matérielle ? Sommes-nous capables de l’imaginer et de la mettre en œuvre dans notre conscience collective de manière volontaire et qualitative ? Ou devrons-nous subir cette réalité comme un choc et une rupture de civilisation ? Pour ma part, si on parle de nouvelles formes d’écologie, je crois beaucoup à toute sorte de nouveaux modes de vie émergents. Ils sont issus d’une grande diversité de courants spirituels et structurels (par exemple les écovillages ou les coopératives, les écoles Steiner,…). Il s’agit souvent d’une certaine forme de vie communautaire, ou du moins solidaire qui se crée autour d’un intérêt commun.

Une nouvelle forme d’écologie est, à mon avis, indissociable aujourd’hui d’une réinvention d’une nouvelle forme de culture. Un mode de vie simple, épuré demande une très forte transformation volontaire de nos modes de vie. Comblés par notre suractivité (et nourriture en adrénaline) et notre identification matérielle extérieure, comment trouver un équivalent qualitatif et intérieur ? Cela demande je pense de ré-enchanter notre relation à la nature, à la vie, et à nous-même afin que notre vie intérieure deviennent beaucoup plus satisfaisante et nourrissante que notre système consumériste actuel.

Le Monde Economique En 2009, vous avez orchestré une exposition d’images « Quelle terre pour 2050 ? ». La thématique de cette exposition est-elle toujours d’actualité ?

Barbara Steudler Elle n’est que de plus en plus d’actualité. 2050 c’est la Terre de nos enfants. Le développement durable, c’est une vision d’avenir, de nouveaux modèles qui offrent des perspectives plus réjouissantes que celles dans lesquelles on est en train d’évoluer. Cette expo, c’est une proposition de solutions futures. C’est peut-être ce qui manque le plus aujourd’hui. Des visions joyeuses et possibles. L’expo 2050 proposait des scénarios sur les différents aspects les plus importants de la vie humaine.

Le Monde Economique Les 28-29 mai 2013 aura lieu la 3ème édition du G21 Swisstainability Forum (http://www.g-21.ch/index.php), le 1er rendez-vous de l’économie et du développement durable en Suisse. Comment se prépare et se déroule un tel évènement ?

Barbara Steudler C’est un projet passionnant. Il se prépare tout au long de l’année avec une activation du réseau, de rencontres au gré de conférences internationales et nationales, de participations à des débats, etc… Identifier les sujets matures qui pourraient évoluer grâce au G21 Swisstainability Forum. Puis il s’agit de présenter le projet à des invités potentiels, focaliser sur des sujets précurseurs et novateurs avec des experts. C’est un véritable bouillonnement d’idées, de visions et d’échanges qui se fait sur plusieurs mois avec au final, le projet de proposer un Forum essentiel qui parle des enjeux de l’économie suisse et qui l’encourage à se positionner dans le leadership mondial de la durabilité.

Le Monde Economique Comment faire pour que vos projets, festivals, guides,… aient une lisibilité et un rayonnement assez grands pour toucher le plus grand nombre de personnes ?

Barbara Steudler Chaque projet est réfléchi en fonction de son public avec une stratégie média et communication qui, on le souhaite, touche le plus grand nombre. Une grande partie de l’équipe de NiceFuture vient du domaine du marketing et de la communication. Je suis également convaincue que quels que soient les publics, il faut être intègre et généreux pour toucher les gens au cœur, et c’est la seule manière de les impliquer au final dans des démarches participatives.

Le Monde Economique Ou trouvez-vous l’énergie personnelle, les ressources humaines et financières pour mener à bien les buts de NiceFuture ?

Barbara Steudler C’est une vaste question. Mes enfants sont ma première énergie. Les valeurs que je veux leur faire découvrir, l’environnement dans lequel je veux qu’ils s’épanouissent. Mais un des moteurs qui me fait avancer, c’est un profond besoin de beauté, d’œuvrer pour un idéal et de voir, pas après pas, des changements, petits ou grands, mais réels. C’est aussi un amour de la nature et un profond idéalisme existentiel en moi qui ont toujours guidé mon existence et mes choix. C’est une conviction que plus « l’homme » est intègre, dans une profonde notion de respect et d’ouverture, plus il est heureux et épanoui.

Au niveau des ressources humaines, les projets existent essentiellement grâce à une énergie formidable de personnes bénévoles qui nous entourent au fil des années et qui y croient profondément. Financièrement, c’est le gra
nd défi de chaque jour : jongler entre les projets pour les rendre financièrement viables. Travailler main dans la main avec des partenaires dans une vraie relation respectueuse, éthique et bienveillante est un axe essentiel et complexe si on veut une vraie collaboration.

Le Monde Economique Si ceux qui ont les moyens sont indifférents, et ceux qui sont démunis impuissants, comment faire passer le message sur l’écologie ?

Barbara Steudler Pour que les gens aiment cette planète qui est unique et si belle, je suis persuadée qu’il faut qu’ils soient touchés au cœur, que leur univers personnel soit impliqué. Qu’ils puissent retrouver cette capacité incroyable qu’a l’Homme de créer afin de se sentir infiniment vivant dans le présent. Sortir de la culpabilité, de la passivité et être créatif et acteur, non seulement de sa propre vie mais aussi comme maillon important de la société, et ceci avec légèreté, humour et partage. Il y a un réel besoin de transmettre des visions positives, ludiques, qui donnent envie de futurs possibles à partager. Rendre le développement durable désirable et le concrétiser dans le quotidien.

Le Monde Economique En tant que mère, quelle terre voudriez-vous laisser à votre descendance ?

Barbara Steudler Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne sais pas quel type de Terre ou société est idéale. Je n’ai évidemment que des clichés en tête. J’aimerais surtout leur transmettre la capacité à être heureux, le goût de l’excellence, le sentiment de fierté que l’on ressent lorsqu’on exerce une vraie «action créative », l’immense joie qu’on a à vivre de vrais partages et l’importance de placer l’ouverture, le vrai, le lumineux et l’amour au cœur de sa vie. Je veux avant tout qu’ils soient co-créateur de leur vie et de leur réalité de chaque jour !

Le Monde Economique Pensez-vous que la Suisse soit mieux positionnée pour affronter les enjeux à venir (alimentaire, écologique, énergétique,…) que les autres pays dans le monde ?

Barbara Steudler Oui, elle a clairement une situation idéale de par son rapport à la nature qui est fort, avec une longue expérience. Mais aussi grâce à sa capacité financière qui permet une forte éducation de sa population, un pouvoir d’achat important qui offre aux Suisse une certaine capacité d’engagement éthique et un certain confort qui laisse le temps de s’investir humainement. La Suisse peut être un modèle exemplaire en termes de durabilité. Je pense d’ailleurs que la Suisse aurait tout à gagner à se positionner dans cette thématique là. Elle attirerait l’attention et deviendrait une région privilégiée et enviée qui lui permettrait de maintenir sa qualité de vie et son attractivité.

Le Monde Economique Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour l’année à venir et les suivantes ?

Barbara Steudler Que les leaders de l’économie prennent conscience de leur importance face aux humains et pas uniquement face aux systèmes politiques et financiers.

Interview réalisée par Nicolas-Emilien Rozeau, Ecrivain

 

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