Les développements récents du droit suisse relatif à l’imposition des entreprises montrent que certaines réformes ne peuvent pas être réalisées en méconnaissance des standards prévus et appliqués en droit de l’UE. La 3ème réforme de l’imposition des entreprises est un exemple parlant de ce ‘phénomène’. La particularité de cette réforme est que la Suisse, en tant que pays tiers à l’Union, n’est pas liée par un accord bilatéral avec celle-ci et ses Etats membres dans le domaine de l’imposition des entreprises. Sur le plan juridique formel, il n’y a donc aucune obligation conventionnelle en vertu de laquelle, les autorités suisses sont tenues de modifier leur droit fiscal national afin de le rendre plus euro-compatible.
Pourtant, l’esprit de la 3ème réforme de l’imposition des entreprises est celui de rapprocher le droit fiscal suisse aux dispositions correspondantes, applicables dans le marché intérieur de l’UE. Il faut souligner qu’à l’heure actuelle, l’UE n’a pas une compétence en matière de fiscalité directe ce qui implique – naturellement – l’absence de mesures d’harmonisation dans ce domaine. Cela ne signifie toutefois pas que les Etats membres jouissent d’une discrétion absolue en matière d’impôts directs, dès lors qu’ils sont tenus d’exercer leurs compétences en conformité avec les objectifs inscrits dans les traités fondateurs. Cette limite matérielle à la discrétion des Etats membres dans le domaine fiscal a, d’ailleurs, été mise en avant par la Cour de justice de l’UE dans un arrêt Schumacker de 1995, dans lequel elle a souligné que « les Etats membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire ».
S’il paraît compréhensible que les Etats membres de l’UE soient tenus au respect des dispositions des traités dans l’exercice de leurs compétences réservées, il n’en va, a priori, pas de même pour la Suisse, à défaut d’être membre de l’UE. C’est pour cette raison que la 3ème réforme de l’imposition des entreprises est curieuse, puisqu’elle est la conséquence d’une critique, formulée en 2007 par la Commission européenne, au sujet de certains régimes suisses d’imposition des entreprises que celle-ci a qualifiés d’aides d’Etat, au sens de l’accord de libre échange conclu en 1972 entre la Suisse et l’UE et ses Etats membres. Les régimes dont il s’agit concernent l’imposition des sociétés à domicile, les sociétés holding, la réduction des participations, les établissements financiers stables, les structures dites ‘principales’ et les exonérations fiscales accordées dans le cadre de la nouvelles politique régionale.
En réponse à cette critique, le Conseil fédéral a adopté, le 4 juillet 2012, le mandat sur le dialogue avec l’UE concernant les régimes fiscaux des entreprises lequel a abouti, le 10 octobre dernier, à une déclaration commune signée par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, ainsi que par les représentants des 28 Etats membres de l’UE.
Cette déclaration prévoit, en substance, trois principes généraux : favoriser le haut degré d’intégration entre la Suisse et l’Union européenne dans le domaine fiscal, une concurrence fiscale loyale, et la sauvegarde d’intérêts communs dans la création et le maintien d’un standard commun en matière d’imposition des entreprises par l’application de règles visant à lutter contre les pratiques abusives, que les parties s’engagent à appliquer de manière transparente. Les représentants des Etats membres de l’Union européenne, quant à eux, se sont engagés à mettre fin aux contremesures fiscales à l’égard de la Suisse, à condition que la 3ème réforme de l’imposition des entreprises soit mise en œuvre.
Ladite réforme peut mener à une réflexion sur le statut de pays tiers de la Suisse à l’égard de l’UE. Dès lors que l’incitation de réformer le droit suisse vient, à l’origine, de la Commission européenne, l’on peut difficilement s’empêcher de voir une analogie entre la position dans laquelle s’est trouvée la Suisse et celle d’un Etat membre de l’UE dont la législation nationale n’est pas compatible avec les traités fondateurs. C’est pour cette raison qu’il est possible de penser que la Suisse, bel et bien pays tiers et, donc, disposant d’une marge de manœuvre discrétionnaire importante dans les domaines non-couverts par les accords bilatéraux Suisse-UE, n’est pas tout à fait un ‘pays tiers comme les autres’, mais a, dans certains cas, un statut qui se rapproche davantage à celui d’un Etat membre de l’UE.
Ljupcho Grozdanovski, Consultant pour le magazine Le Monde Economique et Tax and Sports Law Expert