Qu’entend-t-on par chimie verte ? Egalement appelée chimie durable ou écologique, parfois renouvelable, elle est une « philosophie de la recherche & du génie chimiques, encourageant la conception de produits & l’utilisation de procédés visant à diminuer la production de substances dangereuses & néfastes à l’environnement. Ainsi, elle tend à réduire la pollution issue de l’industrie manufacturière depuis sa source, en privilégiant l’emploi de nouvelles voies de synthèses plus propres » (extrait de Wikipedia).
Des pneumatiques fabriqués à base de pissenlit !?
La firme allemande Continental vient de réussir le tour-de-force de produire un caoutchouc naturel à base de pissenlit, plus rentable que le latex et suffisamment solide & élastique pour permettre la fabrication de pneumatiques. Cette industrie reste la principale consommatrice de caoutchouc naturel dans le monde. Désormais, le pissenlit pourrait remplacer le latex dans l’élaboration du processus industriel, et se retrouver aux roues de nos indispensables & toujours plus nombreux véhicules !… Comment est-ce possible ?
Des racines de pissenlits est extrait un liquide blanc d’aspect laiteux, aux propriétés chimiques proches de celles du latex, émulsion sécrétée par les plantes à caoutchouc. Ces dernières sont en réalité des arbres originaires d’Amérique du sud, appelés Hévéas. Actuellement, la production mondiale a migré vers l’Asie, qui représente le principal fournisseur de caoutchouc naturel. Nonobstant cette provenance lointaine, l’avantage du pissenlit réside dans sa faculté à pousser abondamment chez nous, en Europe, à nos pieds…
Déjà utilisé lors de la Seconde Guerre Mondiale…
Cette découverte n’est pas récente : durant le dernier conflit mondial, il avait été l’objet d’un grand intérêt pour palier la pénurie de caoutchouc ; mais en raison de rendements jugés trop faibles, il avait été abandonné ! Des chercheurs allemands ont poursuivi leurs investigations, et se sont penchés sur une variété transgénique cinq fois plus productive que celle que l’on ramasse dans nos champs. Une de ces variétés géantes qui n’a besoin que de peu d’engrais pour proliférer, et qui pousse facilement aux abords des usines de fabrication de pneumatiques… Un marché de proximité, en définitive !
Certes, nous en sommes qu’au stade des premiers prototypes produits par Continental, mais gageons qu’une telle innovation trouvera sa place dans cet univers paradoxal qu’est l’automobile : pollueur de la planète mais concerné par l’environnement !? En ce sens, les plus grands manufacturiers cherchent une alternative au caoutchouc, dont les plantations d’Hévéas sont aujourd’hui menacées par un parasite destructeur… A l’image de l’Indonésie, la priorité est désormais accordée à l’exploitation du palmier au détriment des arbres à caoutchouc ; ce même palmier dont on extrait juteusement l’huile de palme, ingrédient à l’utilisation fort lucrative bien que contestée…
D’autres manufacturiers ont déjà pris conscience du problème, en s’orientant de facto vers des palliatifs du caoutchouc : citons Michelin, la firme au Bibendum, qui vient d’investir 50 millions de Francs dans un ambitieux programme de recherche sur la betterave, comme ingrédient principal de ses pneumatiques… Quand on vous répète qu’il faut manger 5 fruits & légumes par jour, c’est peut-être pour mieux tenir la route, non ?
Le constructeur automobile américain Ford et le premier producteur mondial du ketchup Heinz viennent de conclure une alliance plutôt étonnante : ils entendent développer un programme de recherche afin de produire un plastique végétal, issu du recyclage des déchets de tomates…
Du recyclage plutôt rentable !
Chaque année, Heinz consomme quelques 2 millions de tonnes de tomates pour produire son inimitable produit rouge. Durant la fabrication, seules les pulpes sont conservées ; les peaux, elles, sont séparées, traitées et évacuées comme déchets. Ceux-ci représentent des quantités annuelles gigantesques, dont le coût de traitement est conséquent… La firme a donc décidé de recycler cette matière première (jugée « pauvre ») en la transformant en une poudre végétale, qui servira ensuite à la fabrication de polymères, principaux constituants du plastique. Grâce à ce nouvel ingrédient seront réalisés boîtes à gants & espaces de rangement, sans la moindre goutte de pétrole ! Impressionnant, non ?
Sauf que la fabrication d’un plastique à base de déchets de tomates est cinq fois plus onéreuse que celle issue du pétrole. Aïe, aïe, aïe : nous voici une fois de plus confrontés au dilemme opposant Economie à Ecologie ; alors qu’il serait si bénéfique pour la planète de les faire rimer (et ce n’est pas le cours actuel du baril de Brent qui inversera la tendance !)… Cet exemple est symptomatique de la liaison Economie – Ecologie pour le moins antagoniste, sorte de mariage de la carpe & du lapin (allusion à la fable de La Fontaine). On constate avec récurrence que même à l’échelle industrielle d’une mass production, la partie est loin d’être gagnée par l’Ecologie, tout du moins sur le strict plan de la Finance.
Rappelons-nous que dans l’histoire des sociétés, l’argent a souvent été le nerf de la guerre ; en conséquence, on peut légitimement être soucieux du futur car les échecs successifs des sommets mondiaux sur le Climat n’ont visiblement pas changé la donne…
La chimie verte en plein essor
Dans l’intérêt premier de l’humanité, il est à souhaiter que ces procédés manufacturiers dits fuel-less tendent à se pérenniser, pour devenir référents dans l’univers de l’automobile ; l’énergie grise ainsi économisée serait salvatrice pour notre planète ! Certains constructeurs l’ont bien compris et utilisent déjà du plastique végétal dans la fabrication de leurs modèles : le japonais Toyota en produit à partir de patate douce & d’huile de ricin ; il fabrique ainsi les tableaux de bord, l’intérieur des habitacles & les portières de ses véhicules. En revanche, aucune information n’est divulguée sur les avantages réels de ces nouveaux composants : facilités d’approvisionnement, qualités de moulage, résistances mécaniques, capacités de recyclage ; ou tout simplement bas coûts d’achat ?!…
A bien y réfléchir, nos voitures pourraient dans un futur proche ne plus contenir que des bioplastiques issus du blé, du maïs ou de tomates. Ajoutons-y l’utilisation croissante des biocarburants raffinés à partir du colza et de la betterave ; et vous basculez naturellement dans l’ère de la chimie verte. Grisés par notre imagination féconde, nous nous surprenons à envisager une production de véhicules sans la moindre once de pétrole ou de matières premières extraites de minerais… Génial, non ? La réalité de demain risque d’être éloignée de cette prophétie : les produits manufacturiers fabriqués grâce & à base de pétrole, ont encore de beaux jours devant eux ; ne vous en déplaise ! En guise de morale, ne perdons jamais de vue la finalité première de la production agricole, qui est de subvenir aux besoins vitaux de l’être humain ; et non pas de le véhiculer, même le ventre vide…
Christophe Royer, Expert pour le magazine Le Monde Economique et Directeur Exécutif au sein du Bureau d’Ingénieurs-Conseils Swiss Energy Efficiency Sàrl.