Les entreprises en constante prise avec le marché et les aléas de l’économie s’adaptent, évoluent, se réorganisent et s’engagent dans des processus de fusion, rachat, délocalisation etc. Les employés exposés à ces changements passent bien souvent par un cortège d’émotions déstabilisantes. Se pose alors cette question : Existe-t-il des moyens pour réduire le stress que ce genre de changement inflige inévitablement aux employés ? Ou du point de vue de l’employeur : Comment accompagner un changement organisationnel majeur afin de permettre aux collaborateurs de continuer à être performants sur leur lieu de travail ?
Pour répondre à ces questions, il s’agit tout d’abord de s’interroger sur la nature du stress que vit le collaborateur :
Il y a les incertitudes tout d’abord : Que va-t-il advenir de son poste ? Quelles seront les nouvelles conditions de travail qui lui seront proposées ? Il vit dans la peur des pertes qu’il aura à subir et qui impacteront sur sa vie de manière générale, car n’oublions pas qu’un emploi appartient à un projet de vie et ne peut être isolé de celui-ci. Pour peu que le collaborateur soit investi dans son travail et dans son entreprise, le stress qu’il vit à l’annonce d’un changement organisationnel profond est surtout lié à une perte de maîtrise ; son avenir lui paraît dirigé par des forces supérieures. Il se sent manipulé, dépossédé d’une part de son humanité d’être pensant et responsable.
Les sentiments de trahison et de colère peuvent finalement être importants : colère contre le fait que les décisions ont été prises dans son dos et que son sort ne pèse que bien peu dans la balance des intérêts. Peur, désarroi, colère, tristesse face à ce qui a été et ne sera plus… Toutes ces émotions habitent à des degrés divers les employés touchés par la réorganisation et absorbent une bonne part de leur énergie.
Comment les accompagner alors pour que la transition s’opère au mieux ?
En reconnaissant tout d’abord qu’il ne s’agit pas uniquement de résistance mais d’émotions normales qui jalonnent un parcours semblable à un processus de deuil. Reconnaître avec empathie les émotions est essentiel, par exemple en offrant la possibilité aux collaborateurs de les vivre et d’exprimer les pertes ressenties au travers de séances accompagnées par un intervenant externe ou par des supports écrits. Il ne s’agit alors pas de parler de ce qui est à venir, mais d’abord des pertes (qu’elles soient réelles ou imaginaires) et cela sans jugement ni recherche de justifications. Une telle ouverture exige du courage de la part de l’employeur qui préférerait peut-être ne pas se confronter à ces émotions; employeur qui, ne l’oublions pas, a une longueur d’avance sur ses employés puisqu’il a parcouru le chemin de la réflexion et de la mise en place du projet, avec toutes les émotions auxquelles il a pu être confronté lui-même, et qui a pu prendre une décision. Ne pas laisser de place aux émotions, les balayer comme des manifestations passagères et peu importantes ouvre la voie aux rancœurs et celles-ci ne font pas bon ménage avec l’investissement professionnel requis pour faire marcher l’entreprise.
De même, se focaliser sur la notion de résistance revient d’une part à stigmatiser une supposée incapacité du collaborateur à s’adapter, d’autre part à déplacer le problème du niveau émotionnel vers un niveau cognitif plus facile à gérer ; l’argument qui accompagne ce déplacement pourrait être exprimé de la manière suivante : « Lorsqu’ils auront compris tous les enjeux du changement, ils seront convaincu. Il suffit de laisser passer le temps. » Certes les explications sont nécessaires et plus elles sont précises et concrètes, plus elles donnent au collaborateur une possibilité de se projeter dans la nouvelle organisation. Mais froides et dénuées d’empathie, les explications ne font que souligner à ses yeux une fuite en avant qui ne tient pas compte de lui.
Reconnaître les émotions et permettre leur expression, voire offrir des excuses pour les bouleversements occasionnés, représente donc un premier pas vers un changement intégré. Le deuxième pas sera alors de donner au collaborateur le maximum de prise sur son avenir en lui offrant la possibilité de faire des choix et de s’investir dans la mise en place du nouveau cadre.
Consultante pour le cabinet Scan Assessment, Claudia Schweizer collabore avec Le Monde Economique en qualité d’experte