Agam Analytics: des outils pour prendre de la hauteur
Le monde de l’entreprise est résolument entré dans l’ère des données. Selon une étude du cabinet McKinsey*, aux Etats-Unis, dans la plupart des secteurs économiques, chaque entreprise détient en moyenne davantage de données que la fameuse Bibliothèque du Congrès. Or cette institution avait déjà sauvegardé quelque 235 téraoctets de données fin avril 2011. La quantité de données n’est pourtant pas l’essentiel. Selon Stéphane Zrehen, créateur de la société Agam Analytics, basée à Lausanne, le plus important est de rendre cette masse d’informations intelligible afin d’en faire un outil d’aide à la décision. Titulaire d’un doctorat en « machine learning » auprès de l’EPFL, ce mathématicien met depuis dix ans ses compétences en intelligence artificielle au service des entreprises. Agam Analytics, fondée en 2013, propose une gamme complète d’outils de « business analytics », capables de dynamiser la compétitivité des sociétés et des organisations, grâce à ses systèmes de visualisation de données. Stéphane Zrehen nous explique comment:
– Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le « business analytics »?
– Pour pouvoir piloter efficacement une entreprise, il faut une compréhension claire de son activité: savoir quels sont les bons ou les mauvais clients ou encore quels produits se vendent le mieux. Mais si votre entreprise vend 15’000 produits et a 200’000 clients, comment garder une vue d’ensemble? La grande question est celle de la synthèse. Peu avant le 11 septembre, les services secrets avaient reçu des alertes, mais ces avertissements étaient noyés dans des masses colossales d’informations. Il aurait fallu un système capable de faire ressortir ces éléments. C’est le rôle du business analytics: grâce à des représentations graphiques et intelligentes des données, il permet d’analyser les problèmes, de mettre en évidence leurs causes.
– En somme, vous proposez des outils qui permettent de prendre de la hauteur?
– C’est exactement ça: prendre de la hauteur, tout en ayant la possibilité de plonger dans les données; avoir la vision globale d’un aigle qui plane au-dessus d’un champ et qui, si une proie apparaît, peut foncer dessus. Une grande innovation s’est produite grâce au logiciel, Spotfire, que l’on représente en Suisse: celle de la visualisation de données intelligente. Avec Excel, il est possible de créer des graphes ou des tableaux montrant l’évolution des ventes pour tel produit… Mais si vous voulez comparer deux graphes, deux régions, cela devient très difficile. Et bien Spotfire a créé la science de la visualisation de données. Nos outils créent des tableaux visuels, de telle sorte que s’il y a un problème – par exemple une baisse des ventes dans une région – cela saute aux yeux. On peut ensuite descendre dans les données au niveau le plus granulaire possible pour comprendre la cause des événements. Et en fonction du service auquel on s’adresse – le PDG, le Directeur des ventes ou le Directeur du marketing – les indicateurs sont différenciés.
– En quoi vos outils d’analyse se distinguent-ils d’autres systèmes d’informations du type SAP?
– La plupart du temps, SAP ou tout autre ERP (Enterprise Resource Planning, NDLR) équivalent sert de nourriture à nos outils. SAP enregistre toutes les transactions qui sont faites. C’est colossal, ce sont des dizaines de millions de lignes par jour et on ne retrouve jamais nos petits… Il faut donc une synthèse de toutes ces informations-là.
– Et à quel type de société s’adressent vos services?
– A priori, à toute organisation qui a plus de trois, quatre unités. Dès que l’on dépasse un nombre minimum de clients, on a déjà du mal à s’y retrouver sur Excel, il faut une synthèse. Les sociétés pharmaceutiques, qui sont très sophistiquées en matière d’optimisation de l’activité des vendeurs, peuvent gagner en visibilité avec nos services. On peut leur créer des graphes qui indiquent, par exemple, le nombre de coups de fil optimal qu’un commercial doit passer chaque semaine. Les services de ressources humaines des grandes organisations se montrent eux aussi très intéressés: ils veulent voir si les salariés sont tous traités de manière égale; s’il n’y a pas de discrimination salariale homme-femme; si les gens reçoivent tous le même genre d’augmentation, entre autres.
– Quels outils de collecte de données sont indispensables pour pouvoir utiliser vos services?
– Pour pouvoir utiliser nos services de visualisation, une entreprise doit préalablement avoir des données structurées, collectées par deux grands types de systèmes, l’ERP – SAP ou autres –, et le CRM ou Customer Relationship Management. Bien sûr, si elle a aussi un système de comptabilité, et un système qui enregistre tout ce qui se passe sur le site web, c’est encore mieux.
– Avez-vous le sentiment que les données collectées par les entreprises ne sont pas suffisamment exploitées?
– Les sociétés enregistrent les données, mais pour les déposer dans une sorte de coffre-fort dont elles n’ouvrent jamais la porte. C’est peu dire que les données sont insuffisamment exploitées. Il existe même des sociétés de taille importante qui ne les exploitent pas. Elles essaient de gérer leurs stocks avec de petits modèles de prédiction, unité par unité, sans vision intégrée de l’ensemble. L’exploitation des données sert à optimiser la gestion. Les entreprises feraient de meilleurs profits si elles identifiaient toutes les poches d’inefficacité et prenaient des mesures. Nos services font ressortir les opportunités d’amélioration.
– Quel genre d’opportunité êtes-vous en mesure de mettre en avant?
– Je peux vous donner l’exemple d’une société qui vend des produits médicaux dans le monde entier. Il arrivait que, dans un pays donné, les prix de vente ne reflètent pas du tout les prix de revient, qu’un produit plus cher à fabriquer soit pourtant vendu à un prix moins élevé qu’un autre produit de la gamme. Ça n’avait aucun sens financièrement. Nous avons pu fabriquer des tableaux de synthèse qui ont permis d’optimiser la politique de pricing à travers un ensemble de pays et un portefeuille de produits. Autre exemple, celui d’une société qui produit des articles commercialisés en grande distribution. Les grandes surfaces imposent des pénalités en cas de retard de livraison. Le problème c’est que le producteur n’avait aucune visibilité sur ses retards de livraison. On a pu fabriquer un tableau de bord qui lui permet de suivre au quotidien ses niveaux de services par magasin, par jour, par produit etcetera.
– Comment se fait-il qu’un fabriquant n’avait jusque-là aucune visibilité sur ses délais de livraison?
– Car souvent, dans une même entreprise, les services ne communiquent pas entre eux. C’est d’ailleurs ce qui fait que j’ai du travail! Pour tenter d’avoir une vue d’ensemble, le dirigeant s’entretient avec les représentants de ses différentes équipes mais de manière très peu structurée. Nous lui facilitons la tâche avec nos outils de visualisation qui relient, unifient des données de types différents, venant de différents services, par exemple la comptabilité et les ventes.
– Vous outils peuvent-ils au
ssi optimiser des stratégies marketing?
– Bien sûr. Je peux vous donner l’exemple de ce que j’ai réalisé pour le site Expédia. Ce site permet entre autres à l’internaute fait des recherches ouvertes: « tiens, je partirais bien en vacances quelques jours, qu’avez-vous comme bon deal en ce moment? » La première question était de savoir comment présenter les offres au mieux pour maximiser le taux de clics. Nous avons mis au point un algorithme qui optimise la présentation et le taux de clics a augmenté de 15%. Le second enjeu était de prédire la consommation de nuitées d’hôtel qui allaient être vendues ville par ville. Nos méthodes ont permis d’améliorer la précision d’un facteur cinq par rapport à la prédiction réalisée jusque-là. Or, ces prédictions sont un argument de poids dans les négociations avec les hôtels, puisque l’on connaît alors le nombre de chambres que l’on va leur vendre.
– Comment réalisez-vous ces prédictions?
– En détectant des signes avant-coureurs. Dans l’une des administrations que j’ai comme client, les gens veulent prédire précisément les crises de RH. Elles sont toujours précédées de signes précurseurs, que l’on peut identifier et qui indiquent qu’une crise se prépare. Mon travail consiste alors à créer des alertes. Pour des banques, cela peut par exemple servir à prédire les risques de défauts et à simuler ce qui se passerait en cas de défaut sur les prêts accordés.
– Pouvez-vous aussi prévoir des pannes sur une chaîne de production?
– Oui, c’est ce que l’on appelle la maintenance prédictive. Pour cela, il faut que des capteurs enregistrent en continu des informations sur l’activité du parc de machines. On peut alors observer des « patterns », ou corrélations: s’il se produit tel phénomène, alors on peut déduire qu’une panne se produira. Le principe est utilisé avec succès sur un parc éolien au Danemark. Quand une éolienne se casse, la réparation coûte plusieurs millions d’euros et provoque un arrêt complet de l’activité. Mieux vaut donc prédire la panne et arrêter l’éolienne avant qu’elle n’explose, ce que les gestionnaires du parc sont capables de faire. Cela coûte beaucoup moins cher.
– Comment se déroule concrètement le déploiement de vos outils à l’intérieur d’une société ou d’une organisation?
– En deux phases. Pour avoir une idée de la taille du projet et faire un devis, je me fais d’abord confier une partie des données sous Excel, après avoir bien sûr signé des contrats de confidentialité. Nous fabriquons un premier prototype en quelques jours que l’on présente au client. Nous intégrons les différents ajustements demandés et dès que l’outil est validé commence la deuxième phase. Elle consiste à connecter directement le modèle aux données « live ». L’outil va alors fournir des analyses actualisées en temps réel.
– Vos clients sont-ils parfois surpris par les analyses de vos outils?
– Le premier rôle de nos outils est d’objectiviser des intuitions que les gens peuvent avoir, d’apporter des chiffres et preuves tangibles afin de concrétiser des impressions. Mais il arrive aussi régulièrement que les clients soient surpris. J’ai un exemple avec le service RH d’une grande organisation, pour lequel j’ai regardé s’il existait une discrimination salariale entre hommes et femmes. Il n’y en avait nulle part sauf au département RH, mais pas dans le sens traditionnel… Les femmes y étaient mieux payées !
– Quelles sont les différences entre vos deux grands produits, Spotfire et Attivio?
– Ces deux produits sont presque intégrés puisque Attivio est aujourd’hui vendu comme un module supplémentaire de Spotfire. Spotfire agrège des données structurées que l’on trouve dans des bases de données. Attivio, de son côté – et c’est vraiment une avancée phénoménale en matière d’intelligence artificielle – est capable d’extraire des concepts sémantiques d’un texte libre.
– Et quel est l’intérêt pour une société?
Aujourd’hui, il est à la mode de chercher à savoir ce que l’on dit de ses produits sur les réseaux sociaux. Les sociétés listent donc tout ce qui a été dit; mais elles ne sont pas beaucoup plus avancées pour autant. Elles ont surtout besoin de savoir ce que l’on aime dans leurs produits, ou bien dans ceux des concurrents, ce qu’ils n’aiment pas, ce qui les dérange. Attivio peut apporter ces informations. Si on lui demande: « Quels sont les concepts qu’on retrouve le plus souvent dans les messages de plainte? », le logiciel produit une liste structurée: « Il y a un problème de garantie », « un problème de personnel qui n’est pas très aimable », « ils ne savent pas trop de quoi ils parlent »… Vous imaginez l’intérêt pour une société qui fabrique n’importe quel produit de grande consommation?
– Au-delà de ce cas de figure, quelles autres sociétés peuvent profiter d’Attivio?
– Les services secrets utilisent tous ce logiciel: c’est bien gentil d’espionner les communications, encore faut-il détecter ce qui compte. On en revient au 11 septembre. Le logiciel peut aussi faire des recoupements. Europol, par exemple, est capable d’identifier si monsieur Untel qui se présente à la douane avec un passeport comportant une faute d’orthographe est bien le même que celui dont la plaque d’immatriculation se terminait par 32 et qui a franchi telle autre frontière la semaine dernière. Attivio présente aussi un grand intérêt pour les laboratoires pharmaceutiques, en matière de pharmacovigilance. Quiconque met un traitement sur le marché a maintenant l’obligation légale de suivre pro-activement à sa charge tous les effets secondaires négatifs possibles. Donc, si quelqu’un prend tel médicament et se met à se plaindre sur Facebook d’un mal de tête, le fabricant devrait être capable de relever cette plainte. Un autre domaine d’application, c’est la réglementation, en particulier bancaire.
– Parce qu’Attivio est capable d’analyser les réglementations à la place d’une personne?
– Oui. Imaginez une banque présente dans le monde entier. Dans chaque pays, les règles changent sans arrêt: en Russie, par exemple, on ne peut plus utiliser tel type d’actif comme collatéral pour tel type de prêt, et tout cela est écrit en russe alors que personne ne lit le russe. La banque en question attend donc les amendes avant de prendre des mesures. Attivio a un module qui se vend à part, qui est branché automatiquement sur 250 régulateurs internationaux et qui fonctionne dans plus de 50 langues. Vous pouvez créer un système d’alerte personnalisé – « je veux connaître les nouveautés en matière d’options exotiques » par exemple –, et Attivio vous envoie un email d’alerte à chaque fois qu’une règle change n’importe où dans le monde. Attivio peut même vous indiquer les passages concernés par ce changement dans vos documents internes et vous détailler les mesures à prendre. Cela fait gagner un temps fou. Le système a d’ailleurs été mis en place par Barclays ce qui a permis de réduire les effectifs du service « compliance » de 300 à une quinzaine de personnes. La provision destinée à couvrir les amendes pour infractions aux règlementations a de son côté été réduite de moitié.
– A côté des entorses à la réglementation, le logiciel peut-il aussi empêcher d’éventuels méfaits?
– Il a permis à une grande banque américaine de détecter des réseaux de traders commettant des délits d’initiés, ce que l’on appelle de l' »insider trading ». Ils échangeaient des emails codés, des messages en anglais où l’on retrouvait de drôles de formules qui, statistiquement – d’après les mathématiques – n’étaient pas à leur place. On retrouvait ces formules tous les vendredis, juste avant que telle action ne connaisse un mouvement particulier. Cela a été détecté et cela a donné lieu à des condamnations. Donc oui, le logiciel permet cela aussi.
* « Big data: The next frontier for innovatio
n, competition, and productivity », McKinsey Global Institute, 2011.
http://www.mckinsey.com/~/media/McKinsey/dotcom/Insights%20and%20pubs/MGI/Research/Technology%20and%20Innovation/Big%20Data/MGI_big_data_full_report.ashx
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Crédit Photo Elena Budnikova,