Par Thibaut Gallineau
A l’occasion d’une conférence fin 2022 au showroom Tesla de Genève en partenariat avec IG Bank, je me suis fait un plaisir de “debunker” le concept de disruption utilisé à tort et à travers la plupart du temps, il faut bien le reconnaître.
Sur le récent tapage médiatique sur ChatGPT, mon ami Thierry Dime, Directeur de la Rédaction du Monde Économique, me donne l’opportunité de vous livrer dans cet article la substantifique moelle de mon travail et je l’en remercie chaleureusement.
Cette phrase tirée de Learning to scale de Régis Medina nous fait voir la disruption comme une métaphore marine où le raz-de-marée-tsunami dévastateur séparerait les surfeurs qui profitent des victimes impuissantes. La disruption serait ainsi comme une charge de cavalerie lourde lancée à pleine vitesse au temps de la bataille d’Azincourt : brutale et inesquivable pour les rangs d’oignons des fantassins qui subiraient de plein fouet “un fort effet disruptif”.
Deux camps se font traditionnellement face quand il s’agit de disruption. D’abord le camp des chantres de la disruption qui haranguent bruyamment les foules en espérant secrètement une prophétie réalisatrice. En face, les désabusés arborant un sourire en coin attendent patiemment des preuves. Je vous propose dans cet article de constituer un troisième petit groupe, le camp des curieux qui scrutent les propositions de valeur intrinsèquement disruptives. Pour reprendre la formule d’Henri V, “we were few, happy few, but we were a band of brothers”.
Vous constaterez que je viens d’utiliser la terminologie liée à la disruption à la sauce Hawaïenne et Médiévale dans le même paragraphe et qu’il convient donc de bien définir le terme “disruption”. Un petit tour par l’étymologie latine nous apprend que le mot disruption contient en fait un pléonasme puisque “dis” est le préfixe de la séparation, de la rupture alors que “rumpere” est déjà le verbe rompre, briser, détruire. Bref, un objet subissant une disruption serait tellement brisé qu’on ne pourrait pas recoller les morceaux et le faire ressembler à ce qu’il avait été.
Mais ce mot parle d’abord aux électromécaniciens, il s’agit d’un phénomène électrique qui désigne une rupture brutale du circuit fermé provoquée par un disrupteur pour une mise en sécurité d’urgence qui évite la surchauffe. On parle de disrupteur principalement sur les circuits à basse tension, sinon on parle plutôt de disjoncteurs. En bref une disruption c’est un point de rupture dans le temps, un chamboulement majeur et rapide d’un état, un brusque changement de trajectoire.
Ex Nihilo
La disruption est un changement Extraordinaire qui vient faire cesser immédiatement l’ordinaire de manière brutale et soudaine.
Tabula Rasa
Renverser une table a un effet Massivement Destructeur, aucun objet posé préalablement sur la table n’est resté en place une fois la table renversée : c’est un processus irréversible une fois déclenché.
Non Sequitur
Dans un argument non sequitur, les prémisses n’ont aucun lien logique avec la conclusion : le chat s’est endormi, l’indice Dow Jones a perdu 12%. La disruption c’est cet enchaînement Inévitable et totalement imprévisible car inédit.
Selon notre définition en triptyque, le déclencheur ne peut être une “tendance” qui contredit toute idée de brutalité et de radicalité évoquée. Basta donc la fameuse Intelligence Artificielle dont on nous rabat les oreilles depuis des dizaines d’années, elle n’est pas synonyme de disruption et tous ses chantres feraient mieux de faire attention à leurs langages et leurs raccourcis trop souvent teintés d’existentialisme et du buzzisme (néologisme pour décrire les adeptes de la religion du buzz).
Sans prétendre être exhaustif, je pense qu’il existe deux déclencheurs majeurs pour un phénomène de disruption authentique. Le plus classique, celui réutilisé dans presque chaque film catastrophe, est bien sûr cet Évènement qui vient percuter notre histoire à grande vitesse et grande échelle : pluie de météorites, chute d’un énorme astéroïde, explosions combinées des volcans, tremblements de terre ou raz-de-marées simultanés, arrivée des Extraterrestres sur Terre, glaciation en quelques jours d’une partie du globe, guerre nucléaire, pandémie éclair, etc.
Le second déclencheur majeur, le beau rôle dans les films de Science Fiction, est cette fameuse Technologie de rupture qui révolutionne instantanément toutes nos technologies actuelles : voyage dans le temps ou des mondes parallèles, et toute la panoplie des super pouvoirs des super-héros : vol, force surhumaine, invisibilité, télékinésie, téléportation, métamorphose, etc.
Notre définition saine nous a permis de bien comprendre qu’on ne peut prédire une disruption ou annoncer qu’elle est en train d’arriver car une vraie disruption est parfaitement imprévisible car elle n’a jamais eu lieu auparavant de par son caractère totalement inédit. N’en déplaise aux grands oracles auto-proclamés, plus nous subissons une disruption authentique, plus les finalités et les conséquences sont indéfinissables sur le moment. Certes ces finalités ne pourront être uniquement positives, l’effet massivement destructeur évoqué implique forcément des finalités négatives à tous les termes : court, moyen, long et même possiblement très long.
L’analyse de l’expérience Covid-19 nous fait constater d’abord un ralentissement massif, rapide, inédit dans la plupart des pays développés puis un redémarrage avec adaptation. En mesurant le potentiel disruptif sur une échelle géographique de 1 à 10, on aurait pu parler d’un fort potentiel disruptif environ à 7 ou 8 (rappelons que certains pays sur chaque continent, n’ont strictement pas ralenti). De manière similaire, l’échelle sur la diversité des secteurs économiques touchés aurait également affiché un fort potentiel disruptif. En revanche, une mesure sur l’échelle de l’ampleur des transformations ou sur l’échelle de la durabilité des conséquences nous révèle que le potentiel disruptif de cet évènement est extrêmement faible seulement quelques mois après. Finalement, à part l’augmentation du télétravail (et encore, beaucoup d’organisations ont enclenché la marche arrière sur ce sujet) qu’est ce qui a vraiment changé dans nos quotidiens entre l’ère pre-covid et post-covid ?
On mesure bien le caractère disruptif d’une technologie ou d’un événement en imaginant un quotidien sans lui. Le monde actuel pourrait-il tourner sans l’invention de la roue ? Serions-nous aussi intelligents sans l’imprimerie et l’ampoule électrique ? Serions-nous aussi sereins pour notre santé sans la découverte de la pénicilline ? Que dire si le IIIème Reich avait gagné la 2nde guerre mondiale ou si la peste noire avait éradiqué l’intégralité des êtres humains d’Eurasie ?
Force est de constater que depuis les trois dernières innovations à fort potentiel disruptif (Ordinateur 1940-1970, Internet 1969-1989, Téléphone mobile 1973), on ne peut pas dire que les nouvelles technologies de ces 30 dernières années changent concrètement et drastiquement notre quotidien sauf quelques exceptions. Certaines de ces exceptions ont facilité notre vie comme les voitures en conduite automatique, d’autres ont un effet prouvé scientifiquement d’abrutissement #RéseauxSociaux…
Dans les (In)Novations à fort potentiel disruptif, voici une liste non-exhaustive pour vous ouvrir des horizons de pensées :
Mais les véritables technologies provoquant une authentique disruption que je peux imaginer seraient :
Provoquer la pluie à un endroit précis mais aussi les tempêtes dévastatrices sur une armée ennemie, réduire le thermostat de la planète au degré près.
Jeter dès à présent vos piles et toutes batteries rechargeables, le monde à changé avec cette nouvelle batterie qui ne s’épuise pas.
Fini les sacs poubelle et la gestion plus ou moins chaotique des déchets, un simple compacteur de la taille d’une poubelle dans votre cuisine et en sortie des petites briques de pierre que vous pouvez revendre pour quelques dizaines de centimes à des entreprises de construction.
Adieu les particules fines et les régions avec une qualité de l’air dégradée ! Aussi naturelle qu’un lierre ou que les pissenlits, cette plante se reproduit naturellement toute seule et purifie l’air ambiant en grande quantité.
Une connaissance s’injecte dans notre cerveau comme un transfert de fichier entre un ordinateur et une clé USB. Notamment donner à tout le monde des bases de médecines sur les gestes des premiers secours dans un exemple positif ou bien tenter toujours plus d’asservir les masses dans son corollaire négatif.
Mais je n’y crois pas, c’est un fantasme intellectuel. Au plaisir de prolonger la discussion sur mon refus catégorique !
La « disruption » prônée par ses chantres :
Parler de disruption sans directement prendre le raccourci de l’Intelligence Artificielle, de la fin du salariat ou du transhumanisme me semble être un gage de qualité. Je constate dans mes études que ce n’est en tout cas pas monnaie courante.
Je souhaite à chacun de bonnes réflexions sur la Disruption !