Bitcoin : évolution ou révolution ?

23 août 2015

Bitcoin : évolution ou révolution ?

Introduction : mutation économique

Le monde est en profonde transformation sous l’impulsion des technologies. Nous vivons à l’heure d’une mutation économique que l’on nomme transformation digitale. Certains parlent de l’ « Uberisation » de l’économie, en référence à la société Uber qui révolutionne le monde du taxi.

Peu nombreux sont les domaines économiques qui échapperont à cette mutation, sorte de nouvelle « révolution industrielle ».

La monnaie n’échappe pas à cette transformation.

Internet a aujourd’hui 20 ans. Il a permis, grâce à la rapidité d’accès aux données informatiques et à leur décentralisation, de profondément et durablement modifier la façon que nous avons de communiquer, d’apprendre, de jouer, de s’informer… de vivre tout simplement.

Et pourtant, Internet au début n’était considéré par la vaste majorité que comme un épiphénomène par et pour des « geeks ». Par refus de voir l’opportunité qui se cachait derrière cet « épiphénomène » et par manque d’anticipation des changements de modèle qu’Internet allait imposé, certaines entreprises ont disparue.

La transformation digitale que nous connaissons actuellement est dans la continuité logique de ce qu’a permis Internet depuis plus de 15 ans.

Afin de ne pas reproduire les erreurs du passé, il ne s’agit donc pas de remettre en cause cette mutation économique en cours. L’attitude qui consiste à croire, par déni de réalité, que cette mutation ne touche « que » tel ou tel domaine ou « que » tel ou tel pays/région n’est pas très réaliste.

Il s’agit plutôt d’adopté un état d’esprit d’innovation en comprenant cette réalité globale et en anticipant ses effets pour transformer les défis qu’elle peut représenter en nouvelles opportunités, en nouveaux leviers de croissance.

Donc, la devise et ses mécanismes n’échappent pas à cette transformation.

Explorons cette réalité.

Mécanismes des crypto-devises

Le Bitcoin est une monnaie virtuelle ou crypto-devise apparue en 2009 dont le principe technique et technologique a été crée par Satoshi Nakamoto. Il existe de nombreuses crypto-devises, le Bitcoin étant la plus connue.

Cette monnaie virtuelle vous paraîtra comme une simple devise de « geek » sur Internet sans aucun avenir si vous ne comprenez pas le mécanisme technique qui la régisse : le Blockchain (définition Wikipedia).

Le Blockchain est une sorte de grand livre comptable: c’est un registre de compte (une base de données) dans laquelle sont enregistrés tous les soldes comptables (qui possède quoi).

Ce modèle de grand livre comptable est la source de la comptabilité moderne. Les grands livres sont des bases de données dans lesquelles sont stockés soldes de comptes, transactions passées, tires de propriété (actions, contrats d’assurance), titres de dettes (obligations), produits dérivés etc.

Le rôle des banques (ou des intermédiaires financiers) est donc simple : institutions mandatées par l’État pour tenir et opérer ces bases de données. Tout le système monétaire-financier et toute l’économie mondiale reposent là dessus.

Le concept de Satoshi Nakamoto était de reprendre le modèle du livre comptable, mais de se débarrasser de l’intermédiation financière. C’est à dire ne plus avoir besoin d’un tiers pour mettre à jour les bases de données, la mise à jour étant effectuée par le réseau lui-même. Le but est de décentraliser et de distribuer les bases de données bancaires et de les rendre accessibles à tous.

Pour concrétiser ce modèle il fallait respecter deux conditions :

Premièrement, il faut que cette base de données soit accessible à tout moment et à n’importe qui. Tout le monde peut aller vérifier les transactions qui y ont eu lieu, et consulter les balances de chaque compte. Pour cela le site Blockchain.info donne un accès libre au public à toutes les transactions.

Deuxièmement, plus difficile à implémenter, il faut que les serveurs informatiques qui alimentent cette base de données en puissance de calculs ne soient pas contrôlés par une seule institution (comme c’est le cas pour le système bancaire actuel : les bases de données d’une banque ne sont alimentées que par ses propres serveurs informatiques), mais par n’importe qui en mesure de fournir de la puissance de calculs (un ordinateur).

Cette deuxième condition qu’est la distribution des serveurs, a nécessité l’invention d’un procédé nouveau : le minage

Les mineurs, reliés en réseau de pair à pair (P2P), sont des individus dont la fonction et d’alimenter tout le réseau Bitcoin en puissance de calcul (CPU), afin de permettre la mise à jour de la base de données (Blockchain). Ils jouent le rôle de l’intermédiaire financier en quelque sorte, mais qui ne connaît rien de notre identité…

Le but du mineur : produire des confirmations de transactions afin de les afficher dans le Blockchain. Une fois qu’il arrive à confirmer un block transaction, il remporte les 25 nouveaux bitcoins qui se créent toutes les 10 minutes.

Tout le monde peut faire du minage, aucune autorisation de qui que ce soit est nécessaire pour se lancer dans cette industrie.

Pourquoi le Bitcoin est une crypto-devise ?

Un mineur pour arriver à confirmer un bloc de transaction, doit passer par un processus appelé Proof Of Work qui permet le décryptage de données. On parle donc de crypto-devises car pour arriver à les produire il faut passer par un processus de décryptage.

Ce n’est qu’un début…

Le principe de la technologie du Blockchain utilisée pour le Bitcoin est, et sera, appliquée à d’autres formes contractuelles.

Les contrats peuvent être distribués et validés sur des Blockchains et librement accessibles à n’importe qui pour vérification.

Le système du Blockchain peut ainsi accélérer les procédures juridiques et administratives.

Par exemple le vendeur d’un appartement pourrait faire transiter via un blockchain des informations sur son identité, sur le métrage de son habitation… L’acheteur enverrait, lui, des données prouvant qu’il est bien en mesure de payer le logement. Une fois les documents nécessaires fournis d’un côté et de l’autre, la transaction (en bitcoins) peut être effectuée.

C’est ce qu’on nomme un Smart Contract (ou « distributed contract »). Il est raisonnable de penser que le Smart Contract est l’application naturelle de la technologie du Blockchain issue des crypto-devises. Sorte de « killer app » du monde de la crypto-devise. (Article : What Are Smart Contracts? Cryptocurrency’s Killer App)

Cela pourrait par exemple avoir un impact sur le métier d’avocat. Non pas que cette compétence va disparaître, bien au contraire, mais elle pourrait être différente : le rôle de l’avocat pourrait évoluer vers la production de formulaires de smart-contract sur un marché compétitif.

Un autre exemple d’utilisation du Blockchain : création d’un nouveau système de paiement. C’est, semble-t-il, la volonté de grandes entreprises du domaine de l’informatique tel qu’IBM qui selon une dépêche Reuters datée du 12 mars souhaiterait développer un registre décentralisé pour chaque monnaie, du dollar à l’euro en passant par le rouble…

Les personnes qui utiliseront ces systèmes pourront, comme avec le Bitcoin, transférer de l’argent ou faire des paiements instantanés via les registres numériques décentralisés créés pour leur monnaie, sans passer par une banque. Les coûts de
s transactions seraient mécaniquement diminués.

Du reste, le transfert d’argent va fortement bénéficier de cette technologie. La crypto-monnaie permet aussi de faire transiter de l’argent d’un pays à l’autre, sans avoir besoin de passer par des sociétés de transfert de fonds, comme Western Union. Cette intermédiation coûte cher (4,90 euros pour des transactions de 100 euros d’Europe vers l’Afrique) et peut être évitée grâce au Bitcoin.

Il y a aussi des utilisations surprenantes de la technologie du Bitcoin, dans les objets connectés par exemple (Internet-of-Things).

Le Bitcoin permettant d’effectuer des transactions sur de très petites sommes (les montants échangés peuvent être calculés jusqu’à huit chiffres après la virgule) et les frais financiers payés sur ces transferts monétaires étant négligeables. Il pourrait donc être utilisée par des fabricants d’objets connectés, qui souhaitent que leurs machines (objets) puissent échanger de l’argent entre elles.

Une utilisation actuelle de la technologie du Bitcoin se retrouve dans l’économie collaborative (sharing) par le crowdfunding et la gouvernance distribuée (distributed collaborative organizations).

En effet, la plate-forme Swarm par exemple propose ce type de service. Le Bitcoin y est utilisé par des entreprises pour lever des fonds, via une campagne de crowdfunding. Le fonctionnement est simple : une société collecte des bitcoins de la part de plusieurs donateurs. Chacun d’entre eux reçoit en échange des parts de la compagnie. Ces parts ne sont pas des actions : elles sont matérialisées en une monnaie virtuelle privée, créée par et pour la société.

Conclusion : remettre le pouvoir de l’argent aux mains des citoyens

Des dizaines de crypto-currencies répliquant le modèle du Blockchain sont désormais disponibles, chacune d’elles se spécialisant dans un service ou une fonction spécifique. Il est possible de classer les crypto-monnaies selon leur usage (article : classification des crypto-monnaies)

Les monnaies « infrastructure » : alternatives au systèmes financiers existants pour des applications comme les Smart Contracts par exemple. Ce ne sont/seront pas des « monnaies » très simples à utiliser par le grand public, et elles se destinent plutôt à des usages professionnels ou semi-professionnels.

Les monnaies « sociales » : simples, principalement conçues pour s’échanger facilement de petits montants financiers entre internautes (« pourboire social »), notamment au travers des réseaux sociaux existants. Elles ne prétendent donc pas remplacer des systèmes existants, et ne seront probablement jamais acceptées par des magasins physiques.

Les monnaies « shopping » : se développent avec l’objectif affiché de devenir un nouveau moyen de paiement plébiscité pour faire des achats (online ou dans la vraie vie), et leurs créateurs vont donc mettre l’accent sur les partenariats avec des marchands, fournir des cartes de crédit compatibles avec leur monnaie, etc.

Pour conclure, il faut noter la différence entre un modèle à bases de données décentralisées, où l’innovation et la créativité sont totalement distribuées et librement accessibles à tous, et le modèle financier actuel où le plus important n’est pas d’innover, mais plutôt d’avoir l’autorisation d’opérer dans le milieu financier.

C’est pourquoi le monde de la finance semble encore aussi obscur, secteur verrouillé et inaccessible aux communs des gens. Ce système a rendu des services financiers simples (transfert d’argent, ouverture d’un compte bancaire) extrêmement chers et dispendieux. Plus de 5 milliards d’individus sur terre n’ont pas encore accès aux services financiers de bases.

La technologie Blockchain est à l’extrême opposée de ce modèle, elle démocratise la finance et la décentralise.

Le législateur semble, d’une manière générale, dépassé par la mutation économique sous l’impulsion de la transformation digitale.

On peut le comprendre. Voir ces bases de données décentralisées se multiplier dans le monde, voir des milliers de devises alternatives émerger toutes en concurrence les unes avec les autres, imaginer des milliers de titres financiers (actions, obligations, assurances) voir le jour sur internet d’une manière complètement anonyme sans passer par les rouages bureaucratiques et étatiques du monde financier actuel…

La technologie des Blockchains remet le vrai pouvoir aux mains des individus.

Etienne Sauze

Start&Dev team

Note : ce post est une introduction à la conférence/lunch qui se tiendra mardi 1er septembre de 12 à 14h à l’hôtel Mirabeau, Lausanne. Détails et inscription : ici

 

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